C'était un typique mardi un peu avant Noël.
Marianne est revenue de l'école et comme toujours, elle s'est enfermée dans sa chambre où, au lieu de faire ses devoirs, comme ses 15 ans le commandaient, elle ouvrait sa radio afin de tenter d'obtenir le signal du poste pouvant lui offrir la musique afin de finir sa cassette de musique diverses. C'étaient les années 80, dans le Bronx. Et dans cette partie du Bronx, le signal de la radio ne rentrait bien que lorsqu'on plaçait les antennes de celles-ci en direction du Whitestone Bridge.
La neige a débutée tôt en fin d'après-midi. Mari, tentant de protéger son radio des riches flocons, n'a pas tout de suite entendu sa mère l'appeler. Quand sa mère lui a finalement demandé un service, Marianne a tout de suite pensé "AAAH! c'est la dernière chose que je veux faire...une commission!". Quand celle-ci a su ce qu'elle aller acheter pour sa mère, elle a pensé "AAAH! c'est la dernière chose que j'ai envie d'acheter...des tampons!" Et pas n'importe lesquels, les Kotex super-size, cette boîte peu subtile mauve et jaune, si grosse qu'elle se mettait mal dans les sacs.
C'était si peu subtil que tout le monde savait, en marchant dans la rue, ce qu'était l'achat et pouvait penser facilement que c'était un achat pour elle. LA HONTE!
À 15 ans, personne ne veut faire savoir que vous êtes dans cette période du mois.
Mari se rendit à 5 coins de rues, à pied, grommelant pour elle-même que le jour où elle aurait un enfant, jamais elle ne le ferait aller acheter ses tampons. Une fois à la pharmacie, passé le commis au visage boutonneux l'ayant fait payé, Mari avait quitté l'endroit rapidement, voulant s'effacer de partout.
Mais sur la rue, deux ados de son âge lui ont rapidement soutiré le sac des mains et sont partis à la course, se tirant le sac l'un vers l'autre, faisait courir Marianne entre les deux garçons. Ce n'était pas que deux garçons, c'était Denis & Jacques, de la gang de Chicken Wings Brothers, deux des gars les plus cool du quartier. Qui le restaient même un peu en se moquant d'elle, en ce moment même. Tous les gars du quartier voulaient être ces deux gars-là et toutes les filles voulaient faire "des affaires" avec eux...
...sauf Marianne.
Ce qui était aussi une menterie qu'elle se contait à elle-même puisqu'elle avait un vrai kick sur Denis depuis longtemps, mais se considérait seule dans cette envie de se toucher différemment, elle et Denis, ne se trouvait pas dans "leur ligue", et maintenant qu'ils se tiraient le sac contenant les tampons, si ils découvraient ce qui s'y trouvait, toutes le chances que quelque chose d'intéressant en naisse devenait nulles. L'exaspération de Marianne courant entre les deux sacs est alors devenue une frustration réelle que seuls les ados peuvent comprendre.
Fatiguée de courir entre Denis & Jacques, Mari a choisi de plaquer au sol Jacques, afin qu'au moins le sac et son contenu reste secret. Mais le sac a été voler jusque dans la rue, l'active Westchester Avenue, où la boîte s'est facilement extirpée du sac, et qu'une roue d'autobus #4 est venu écraser comme on écrapouti un petit pois d'un coup de dent. Mari s'est bruyamment plaint. Jacques, loin du milieu de la rue et du paquet crapou lui a répondu:
"Tu ne feras pas une scène pour une bête boîte de biscuits! on t'en rachètera une autre!"
"Ou on t'en volera une!" a rajouté Denis, qui, lui, OH MALHEUR' se dirigeait vers la boîte au milieu de la rue.
À la pause qui a suivi, Mari a vu Denis prendre conscience de ce que c'était, la regarder à nouveau, puis dire à Jacques de fermer sa gueule.
"Ouais, tes biscuits sont bel et bien finis, oublie-ça, on s'excuse, on va marcher avec toi jusque chez toi" a dit Denis.
Marchant dans des rues toujours plus floconnées, entre les musique de Noël d'Andy Williams ou de John & Yoko, les trio a recommencé à s'amuser, à trois cette fois. Après avoir tenté d'attraper les plus gros flocons sur les langues, Denis a d'abord ramassé le plus de neige sur le toit d'une auto pour en faire un motte lancée en direction de Jacques. La suite n'est que bataille de mottes de neige. Glissant dans les rues, jusqu'à se pendre sur les luminaires, des gros flocons restant perchés dans les cils de tous et chacun. Le ciel était étrangement entre le pourpre et le rouge, annonçant un beau lendemain.
Le flocon sur le cil de Denis, avec ce ciel derrière était la plus belle chose que Marianne n'avait jamais vue. Elle en était complètement paralysée.
"On est bien rendu chez toi? non?" dit Denis, la sortant de sa rêverie. "Oui" a-t-elle confirmée.
Denis l'a fermement embrassé sur les lèvres. Ce qui colora le corps de Mari de frissons de félicité. Jacques a tout de suite fait suivre avec un baiser lui aussi, mais sur la joue.
"Joyeux Noël Mari!" ont-ils dit, repartant au galop comme les deux chevaux sauvages qu'ils étaient.
Mari a tout simplement plané jusqu'au 5ème étage du logement familial.
"Où est ma boîte?" a demandé sa mère. Elle a déduit le montant du compte de Mari quand elle lui a expliqué qu'un autobus l'avait détruite. C'est papa, plus tard, qui ferait l'ingrate commission pour elle.
Peu de temps après Noël, Denis & Jacques ont tous deux été assassinés. Se rendant au McDonald un soir, quelqu'un en voiture, leur avait lancé une canne de bière. Jacques l'avait relancé dans leur direction. Aux États-Unis, où on porte une arme comme on porte un briquet partout ailleurs, la voiture est revenue pour les tirer tous les deux.
À l'enterrement de quelqu'un de trop jeune, si vous l'avez déjà vécu, il y a toujours trop de monde. Parce que jeune, on connait tout le monde et tout le monde nous connait. Mourir à 75 ans, plusieurs de nos amis, de nos entourages, sont déjà partis. Mais mourir à 15, tout le monde est encore là. Et leurs parents. Et leurs grands-parents. Et les cousins, les cousines, et l'école au complet. Tous les niveaux.
Pleurant contre le tombeau fermé de Denis, Mari sentit la présence de la mère de Denis s'approcher d'elle. Cette femme était la plus grise et la plus triste que la planète eût connue.
"Tu connaissais bien Denis?"
"...Un peu, oui..." a dit Marianne
La triste femme l'a dévisagée une minute avant de se rendre ailleurs.
Marianne aurait voulu lui avoir dit à quel point son fils était un gentleman. Qu'il n'avait pas trahi son secret. Qu'il avait joué dans la neige avec elle.
Qu'il était son premier baiser.
Dans ce qui était probablement la dernière fin de journée d'adolescence pure de la vie de Marianne.
Et des disparus.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire