mercredi 17 janvier 2018

Blonde & Idiote Bassesse Inoubliable*********************The Ooz de King Krule

Chaque mois, (vers le milieu) je vous parle de musique, tout comme je le fais pour le cinéma (dans les 10 premiers jours) et la littérature (dans les 10 derniers), trois passions. Je vous parle d'un disque qui m'a beaucoup touché et je tente de vous dire pourquoi.

Le titre de ma chronique est inspiré de 4 albums que je connais par coeur et qui font parti de mon ADN tellement je les ai écouté sans fin.

Par ordre de création:

"Blonde on Blonde" de Bob Dylan
"The Idiot" d'Iggy Pop
"Low" de David Bowie
"The Unforgettable Fire" de U2

B.I.B.I. c'est moi. C'est aussi la terminaison du mot habibi qui, en dialecte irakien, veut dire "je t'aime"

Musique, je t'aime.

THE OOZ de KING KRULE

2018.

Autour du 3 janvier dernier, à Arenal, je n'arrivais pas à dormir après une longue journée pleine d'activités. Je suis allé sur la verrière de notre logement pour ne pas déranger ceux qui y dormaient, une verrière à moitié en plein air dans le climat du Costa Rica. En lisant un article des 10 meilleurs albums de musique de 2017, selon Alain Brunet, j'en ai téléchargé 4.
Björk (pas écouté encore), Fleet Foxes (Pas aimé finalement, supprimé), St Vincent (not bad, j'écoute encore) mais surtout, un album dont je ne me lasse tout simplement pas: The OOZ de King Krule.


 Archy Marshall a 23 ans. Il a déjà trois albums. Le premier lancé quand il n'avait que 19 ans.

Marshall n'est pas la vedette de sa musique. Il la survole. On le trouvera parfois sous les projecteurs avec sa voix grave au violent crachin marmonnant son accent cockney bougonneux, on le trouvera parfois aussi dans les marges, murmurant doucement pour lui-même quelques mots à peine audibles, il pourra aussi carrément s'absenter, se plaçant derrière les consoles de production, laissant les textures sonores qu'il a composé faire le travail pour nos oreilles. Écouter son album, c'est un peu comme attendre de voir une créature étrange de la mer refaire surface. Nous captons seulement quelques moments de la bête, avec beaucoup d'excitation entre chaque apparition.

Marshall a enregistré sous le pseudonyme de Zoo Kid, sous King Krule,  puis sous son propre nom. Il y a peut-être une logique des pseudos propre à sa génération, ou propre au comportement naturel des crabes ermites sabordant leur coquille entre domiciles temporaires. Peu importe, sa première oeuvre sous le pseudo de King Krule depuis 2013 est à écouter dans le noir et après minuit. Pour qu'il vous habite longtemps. Pour qu'il vous hante. Pour le martien en vous. Le papillon de nuit, aussi joli que grotesque et épeurant.

The OOZ est un album riche, immersif, inventif, qui croise Jazz, pop, rock, punk, nouvel âge et hip hop. L'album semble un vol piloté par un rouquin qui nous traîne dans sa solitude étouffante. Le son est goudronneux, chaud, humide, la ligne de base est pesante, le genre qui te fait prendre conscience des vis sur la base, résistant aux pincements de la corde, tant bien que mal. Une base de jazz travesti dans l'univers de Joy Division comme de la vitre sur un doux tapis.
On se trouvera parfois a entendre un album de trip hop, parfois un album de dub, parfois un album de punck rock, parfois un album de ballades jazz ou de R & B humide. Les guitares, légèrement désaccordées par moments (mais calculées ainsi) offrent des sons imparfaits qui font écho au vidéo de Dum Surfer, nous montrant du glauque et du difforme. Du freak. Le refrain de Dum Surfer, sur un saxophone croisé entre Roxy Music et David Bowie, sonne plutôt comme "Don't Suffer", probablement le vrai titre original de la chanson.  (Marshall parle de sa santé mentale sans filtre). Ne souffres pas. Probablement le sentiment le plus fort saupoudré dans son album.

Les mots dans sa bouche créé une distance. Ils évoquent moins des syllabes que des idées. Il ne cesse de nous exposer à quel point nous sommes loin de lui. Son album est comme un morceau d'avion décontextualisé, arraché du ciel pour tomber sur terre (comme sa pochette semble suggérer). Il marmonne et distille les éléments de sa propre solitude. Une solitude déterminée et malade travaillant en tandem. Il chante l'hybride animal moitié homme, moitié requin, une image qui lui colle bien à la tête de rouquin. Twisted raw adrenaline. Sons électrocutés propulsés de son système nerveux. Il fait référence aux insomnies, aux nuits hantées par la mémoire, aux pilules ne fonctionnant pas. Il offre un généreux 19 pièces.

Sous cette apparence de désespoir, le luxe de l'humeur et des textures. Celles qui font que la dépréciation personnelle semble viscérale, tactile, vous souhaitant presque la désirer. La production (qui est la sienne) est si intéressante que des producteurs vétérans doivent jalouser le talent du kid de 23 ans. La lente guitare, planant comme un néon à moitié allumé, les bruits désorientants comme des sons de l'espace perdus sur terre, de sexy accents, des sons d'alarmes qui font tendre l'oreille le temps qu'ils disparaissent, le piano diffus et les synthétiseurs érodés, forment le pont entre le troll et la civilisation humaine de manière fascinante. Une créature jappant la lourdeur de son coeur en scandant "I wish I was people", à quelques jours de la journée favorisant la recherche sur la maladie mentale, ça fait même sourire.

Son dégoût réel ou sa baboune feinte, deviennent séduisants sur cet album d'une planète étrangère et sans âge. Tout ce que l'on trouve sexy, adulte, nous répugne, enfant. Marshall passe du kid au grand.

Pour ceux qui se rendent jusqu'à la fin de l'album (pas une chose si facile pour l'amateur de radio commerciale), vous y trouverez un fruit faussement empoisonné, une vision d'artiste troublé/troublant.

Un enfant de Bowie.

Hanté.

Hantant.

Pour amateur de jazz, d'ambient, de punk, de dub, de musique sombre mais aussi inventive, de blues, d'albums extrêmement léchés à la production, de sons extra-terrestres, d'originalité, de freaks.

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