samedi 27 janvier 2018

Jacques Languirand (1931-2018)

L'homme que l'on a connu pour son rire homérique et sa joie de vivre a pourtant commencé sa vie durement. À 3 ans, il perd sa mère. Son père en assurera l'éducation et ça se passera très mal. Les deux en viennent aux coups régulièrement et le père est d'une brutalité absolue. C'est sa triste manière de se faire respecter. Plongé dans la délinquance par cette éducation tyrannique à domicile, il sera expulsé de deux collèges, comme étudiant, tant il a besoin d'exulter.

Le monde du théâtre lui semble la parfaite évasion. Un ami à lui est à Paris, et par son intermédiaire, à 19 ans, il va le rejoindre et devient correspondant (non rémunéré). Il se décroche un emploi à la radiodiffusion française comme chroniqueur. Il aura comme patron le grand poète de la résistance, Pierre Emmanuel qui le forme comme journaliste. Il interview Claudel et Cocteau et a pour amis à Paris Hubert Aquin et François Hertel. Ayant des problèmes de santé, il retourne à Montréal.

À Montréal, la télévision est naissante en 1952. En juillet 1953, il entre au service international de Radio-Canada. Il y côtoie Judith Jasmin et René Lévesque. Il tombe en amour avec la décoratrice Yolande Delacroix-Pelletier, qu'il épousera. Il joindra l'émission de René Lévesque, Carrefour.

Il écrit sa première pièce de théâtre en 1956, en écrira 11, qui seront jouées autant en français qu'en anglais. Il dirigera La Compagnie de Théâtre Jacques Languirand, puis Le Théâtre de 10 Heures. Dès sa première pièce, il gagne deux prix canadiens d'envergure. Mais déçu par ses expériences de gestion de théâtre, il retourne à Radio-Canada qu'il ne lâchera jamais complètement. Il passe de la télé à la radio sans réserve et signe des adaptations théâtrales ou des reportages d'affaires publiques.

En 1961, il retournera vers Paris. Pour deux ans. La langue française lui plait beaucoup. Son père ne le supportera en rien, il prendra même la peine de le lui écrire à quelques reprises. C'est un vrai tyran traumatique.

Languirand obtient le prix du gouverneur-général du Canada pour son livre regroupant entre autre sa première pièce au titre qui lui correspond si bien: Les Insolites. Pour sa pièce Les Violons de L'Automne, il se transforme en producteur au théâtre de La Comédie de Paris. La critique française est assassine. Il revient à Montréal.

Il y co-animera, avec Michelle Tisseyre (mère de Charles) Aujourd'hui. Il s'y fera des ennemis et finira même par être renvoyé pour ses mauvais rapports avec les recherchistes. Secrétaire général du théâtre du Nouveau Monde de Jean Gascon, il met sur pied une technique de marketing qui fera école. À quelques jours, quelques heures d'un spectacle, il met les billets invendus en rabais. Ça fonctionne à merveille, ça gonfle les chiffres de vente à la dernière minute. Le théâtre québécois fonctionne toujours ainsi aujourd'hui.

En 1966, il travaille d'arrache-pied (le fera toujours) pour la conception de pavillons thématiques en vue de l'Exposition Universelle de Montréal l'année suivante. Ses pavillons sont à la fine pointe du multimédia de l'époque. En privé, il multiplie les aventures avec des relations ponctuelles.

En 1967, il se lance dans une aventure financière catastrophique: La fondation du Centre Culturel du Vieux-Montréal. Là où s'est longtemps trouvé la Bourse de Montréal et où se trouve l'actuel Théatre du Centaur. Si le Canada investit 100 millions dans la chose, le Québec ne suit pas. On prend la mauvaise décision de construire en se disant que 100 millions arriveront aussi de Québec. Ce qui ne se passera jamais. Le Centre ouvre ses portes en novembre, et ferme un mois plus tard. Ce sera une lourde faillite d'un demi million de dollars. Languirand tombe en dépression et se questionne sur la vie en général.

Pour toujours.

Il enseignera à l'École Nationale de Théâtre puis à l'université McGill. Amateur et consommateur de drogues psychédéliques, il notera toute ses expériences sur le sujet. Et en parlera un peu partout. Il devient sympathique coloré personnage de l'univers médiatique Québécois quand il commence, en septembre 1971, sa célèbre émission radio (de retour à Radio-Canada) Par 4 Chemins. Il y mêle spiritualité, philosophie, ésotérisme et sciences humaines. L'émission deviendra culte au Québec. Son rire gras et généreux devient une planante signature fort appréciée. Il fait accrocher les sourires un peu partout. RBO le parodiera avec Pierre Verville. Il fera aussi le comédien pour Jacques Godbout.

Il signe et anime des séries télé (Vivre sa Vie et Vivre ici, Maintenant) où il traite de sujet sous un angle philosophique. Il fera du théâtre, comme comédie pour Robert Lepage, dans ses trois pièce de son cycle Shakespearien. Il joue ici et , dans des films Québécois. Il apparaît aussi auprès des Loco Locass (vers 2:09) dans un de leur clip.

Il sera toujours du décor culturel francophone. Il sera fier grand-papa pour les enfants à la télé. Il écrit de nombreux livres, sur l'ésotérisme entre autre, mais de philosophie aussi, et de doctrines de pensées, comme "de MacLuhan à Pythagore", se gardant toujours de ne jamais se qualifier ou incarner un gourou, dont il se méfiera toujours. Il fonde avec sa femme le centre Mater Materia, un centre qui se veut un lieu de réflexion et d'échanges philosophiques, mais encore, 5 ans après l'ouverture, on doit fermer. Il tombe en burn-out et écrit un livre sur le sujet afin de le prévenir. Sa femme, avec laquelle il avait eu un garçon et une fille, qui eux, dont la dernière, lui a donné trois petits-enfants.

En 2011, un incident malheureux le placera sur les lignes de côtés. Vexé de ne pas avoir été invité à l'ouverture de la programmation de Radio-Canada il en fait un drame public se terminant sur un vibrant doigt d'honneur aux dirigeants qu'il traite d'imbéciles. Il sera suspendu de son émission et ira continuer le travail qu'il avait initié au Canal Vox. En octobre, on passe l'éponge et il reprend son micro. Pour une 41ème saison de suite.

Fier militant et supporteur écologiste, il sera toujours impliqué dans La Journée de la Terre et tout ce qui s'en rapproche.

Excessif, il avait plus de 10 000 livres dans son immense bibliothèque. Il vit l'horreur de la mort de sa fille (58 ans) il y a deux ans et demi.

C'est un géant de la radio d'ici qui est décédé hier, à l'âge de 86 ans.


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