G. était un garçon tout ce qu'il y a de plus normal. Universitaire, il était même facile à faire passionner sur ce qu'il étudiait. Puis, peu à peu, G. ne sortait plus de sa chambre.
"J'étudie" se contentait-il de répondre quand on lui demandait ce qu'il y faisait si longtemps. Comme il avait d'excellentes notes scolaires, ses parents ne se sont pas inquiétés. Il y met les efforts ont-ils pensé.
Puis, un jour, alors qu'il avait 20 ans et tenait le volant de la voiture en compagnie de son père, il s'est mis à paniquer.
"relaxe, G., t''as pas de raison d'être nerveux comme ça" lui disait son père.
Il sous-estimait alors son "comme ça". Il n'avait jamais vu son fils "comme ça". Il voyait son fils perdre les pédales mentales. Un nouveau fils naissait sous ses yeux. À 20 ans. Papa en avait 30 de plus.
C'était il y a longtemps, dans les jeunes années 90, alors que des attaques terroristes n'étaient même pas des sujets d'actualités quotidiennes. Dans cette randonnée pénible, son père allait assister en direct à la dégénération mentale de son plus jeune fils, lui, convaincu que ce qui se disait à la radio le concernait directement, qu'on s'adressait à lui et que même qu'on voulait sa perte.
G.est passé de jeune homme tout ce qu'il y a de plus conventionnel à malade mental. En société, il est à surveiller. Il s'emporte. Pas violemment nécessairement, Pas encore en tout cas. Mais il devient démesurément passionné sur certains sujets sortis de nulle part et peux en parler pendant des heures et des heures.
Quand il m'a vu avec mon gilet de Bowie à Berlin, il m'a fait l'histoire de Berlin en entier presqu'en un seul souffle. Ça m'a intéressé la première heure, mais à la troisième, j'avais aussi envie de parler à d'autre, et de d'autres choses.
Son père est indispensable à G. Il peut l'appeler jusqu'à 15 fois par jour. Principalement pour monologuer. Il a été placé en appartement et a été jugé autonome par des groupes sociaux spécialisés dans le traitement de la maladie mentale.
Ces gens sont des héros. Ils offrent une route à ceux qui en dévient malgré eux. Malgré leur tête.
Ils font un travail fantastique et fort épuisant.
G. est en appartement, mais personne, autre que lui, ne voudrait y mettre les pieds. Il n'accepte aucune altération de la part de son propriétaire, de ce qu'il considère être son propre équilibre. Son état mental ne lui fait faire aucun effort d'hygiène. Ça sent mauvais et il sent mauvais. Il s'est laissé poussé la barbe car se raser lui tombait sur les nerfs. Quand il mange, beaucoup de choses y traînent. Quelqu'un qui ne le connait pas pourrait facilement le juger.
C'est ce que tout le monde fait juger les gens atteints de maladies mentales. Souvent sans même savoir que ceux ou celle qu'ils jugent en sont atteint.
Récemment je questionnais la santé mentale de Sophie Grégoire-Trudeau.
Étais-je juste de faire cela?
Peut-être, effectivement qu'elle en souffre. Sa belle-mère en souffrait. Et avait aussi fait une folie du même genre que celle de SGT avec la première dame du Vénézuela pendant le règne de Pierre Elliot Trudeau. Margaret Trudeau était bipolaire. Mais qui diagnostiquait la bipolarité dans les années 70?
Qui, aujourd'hui veut se faire évaluer à ce sujet? Qui avouerait être malade mental?
G. n'en parle jamais. Son père en parle beaucoup. Ancien policier, il est même porte-parole et donne des conférences auprès des policiers de partout au Québec afin de les sensibiliser aux différents types de maladies mentales et comment approcher ceux qui en sont atteint.
Il est si admirable qu'on s'arrache ses services un peu partout. Il est passé chez Joselito Michaud, il est aussi passé chez Desautels à la radio.
Il est extraordinairement présent dans la vie de G. et totalement indispensable.
Mais il a 30 ans de plus que son fils.
Qui a aujourd'hui près de 40 ans.
Son père sait que le jour où il partira, son fils sera laissé à lui-même.
Dans un monde où ses repères ne seront pas ceux de la société dans lequel il gravite.
Qui le gardera les deux pieds sur terre?
Il en est terrifié et m'en parle à l'occasion.
Ces gens ne vivent pas dans l'orthodoxie mentale traditionnelle.
Ils nagent dans des dimensions parallèles parfois sombres.
Jamais par choix.
À Noël, j'étais en compagnie de ces gens, mais sans la présence de G.
Après avoir pris une photo de mon fils autour de la table du souper, j'ai revisité mon téléphone pour regarder les photos. Mon fils avait bougé à la dernière minute et l'effet de la photo autour de la table du souper lui donnait un air bizarre. J'ai zoomé sur son visage une fois la photo prise et ai isolé sa face pour prendre une nouvelle photo plus cadrée sur son air, ce qui lui donnait une bouille encore plus...débile.
Je lui ai envoyé la photo et pour rire, j'ai écrit sous la photo, comme si c'était une affiche publicitaire:
Donnez pour les ressources sur la maladie mentale.
Mon fils m'a envoyé les émoticones qui rient aux larmes.
J'ai ri moi aussi, content de l'effet que j'avais eu sur mon fils, un étage plus bas avec des amis.
Une amie derrière moi avait tout vu et a ri elle aussi.
Ça a attiré l'attention de gens autour qui se sont regroupé pour voir ce qui nous faisait rire. Parmi les gens réunis au dessus de mon épaule, l'amoureuse de ce père au prise avec son fils, atteint de maladie mentale.
Je ne crois pas qu'elle a ri. Les autres, oui.
Je me suis senti extrêmement mal.
Mon choix de mots était malheureux.
J'aurais dû écrire autre chose. Ce n'était pas drôle pour elle. C'était un rappel moqueur des préjugés de leur réalité. Elle ne me l'a pas fait sentir, mais elle n'avait pas besoin de le faire. Je me sentais déjà ridicule.
Aujourd'hui, parlez-vous par téléphone.
Textez vous de meilleurs mots que les miens.
Chaque appel, si vous êtes avec Bell, fera verser à la compagnie un maigre 5 sous aux initiatives sur les traitements de la maladie mentale.
Si vous en souffrez, n'hésitez pas à en parler.
La peur s'estompe avec les mots.
Les préjugés peuvent aussi s'éteindre.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire