Juive polonaise de naissance, elle aura toujours gardé la mort dans sa garde-robe.
Élevée par une mère victime de la Shoah et qui refusera d'en parler toute sa vie, Chantal Akerman aura aussi la mort dans sa cuisine. Incarnée par le silence de sa mère sur son traumatisme vécu pendant la guerre. Déportée à Auschwitz avec toute sa famille, seule la mère de Chantal en était revenue.
C'est après avoir vu Pierrot le Fou que Chantal est renversée par ce film/poème/livre. Elle a 15 ans.
"J'sais pas quoi faire?" Faux, maintenant Chantal le sait, et ce sera du cinéma. Au début des années 70, à 20 ans, très peu de femmes font du cinéma. il y a bien Agnès et il y aura Marguerite, mais elles sont rares. Chantal part pour l'Amérique. New York.
C'est du cinéma comme Micheal Snow, Kenneth Anger, Stan Brakhage qu'elle veut faire. Comme Andy et Jonas aussi, qui font vibrer la scène expérimentale de New York au même moment. Elle veut documenter son existence.
Son tout premier film, dans lequel, elle joue elle-même, sera lié à son tout dernier.
Elle tourne sa chambre et un hôtel paumé avec ses occupants. Elle vole sur images des heures de 1972. Elle immortalise le temps. Telle une mouche, elle survole le temps et l'espace. Certains plans de son Hôtel Monterey rappellent drôlement les choix de plans de Stanley Kubrick dans The Shining.
63 minutes de "choses qui n'arrivent pas", ce n'est pas pour tout le monde. Mais la vie n'arrive pas aussi vite que l'angoisse dans le monde de Chantal, alors elle se libère de son poids en la créant sur pellicule. Chantal est punk avant l'heure, elle filme des ados délinquants dans les Yonkers comme premier essai documentaire. Elle se reconnaît un peu en eux. Elle ne se rend pas jusqu'au bout, le film restera inachevé.
Elle revient à Paris pendant l'été. Elle tourne toujours, des gens qui étouffent.
Puis en 1975, la consécration. Elle scénarise, réalise et dialogue le quotidien d'une veuve qui doit composer avec sa prostitution à temps partiel, son travail plus légitime, et son garçon de 16 ans. Avec le succès d'estime de sa chronique de l'aliénation. elle retournera à New York et filmera un premier (de trois) film épistolaire où elle lit des lettres de sa mère écrites entre 1971 et 1973 sur des images de la grosse pomme.
Elle tourne avec Aurore Clément, un très autobiographique road film principalement en train.
Elle tourne la solitude. Les années 80 en musique. des documentaires pour la télé.Un sketch dans un collectif. Une comédie musicale avec la splendide Lio. Dans les années 90, elle s'essaie à New York avec Juliette Binoche, qui lui avait demandé de lui écrire un rôle, et William Hurt, en anglais, dans une grosse production avec un "gros" budget. L'expérience est une catastrophe. Chantal et Juliette se brouillent, Chantal ne touchera plus jamais aux grosse productions.
Elle tourne contre la racisme en 1999,
Elle adapte Proust avec Sylvie Testud. Elle veut faire du Evgeny Bauer ou du Hitchcock. Elle regarde derrière.
Chargée d'une commande pour tourner un documentaire sur Israël, elle détourne le mandat en 2006 et en fait un film extrêmement personnel sur l'exil et le déséquilibre mental. Chantal est maniaco-dépressive.
Elle adapte Joseph Conrad. Elle tourne un dernier film épistolaire sur sa mère. Elle perd celle-ci en avril 2014.
C'est une grande partie d'elle-même qui meurt aussi ce jour-là. Depuis, elle passe de dépression en crise identitaire.
Elle ouvre la garde-robe lundi dernier et embrasse la mort.
Elle avait 65 ans.
L'aliénation a gagné.
Bonne nuit, belle folle!
Cinéaste, peintre, décoratrice, chirurgienne, photographe de l'indiscernable.
Tu avais filmé le silence,
Emprisonné sur images dans ta caméra.
Tu l'a rejoins.
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