C'est un formidable livre que je terminais sous un soleil caniculaire.
Formidable pour quiconque connait l'oeuvre du fantôme qui survole ce livre.
Le premier livre d'Alexandre Diego Gary.
On dit que c'est un roman.
Un peu.
C'est aussi beaucoup de récit.
Alexandre Diego est le fils de deux météores.
Jean Seberg, actrice torturée chez Preminger, deux fois, puis ingénue chez Godard, elle-même sous la direction de Rossen, Jean incarnera un idéal féminin et un style dans les années 60. Mais peu de gens connaissent l'étendue de sa fragilité mentale et physique. Jean est généreuse. Et quand elle quitte Romain Gary qu'elle a épousée en 1962, qui est de 24 ans son ainé, et avec lequel elle a eu Alexandre Diego, c'est pour s'investir entièrement, corps, esprit et argent dans la cause des amérindiens et des noirs. Elle s'entoure mal jusqu'à la fin de sa vie, se faisant battre par de nombreux amants, se faisant voler aussi, tentant de s'enlever la vie une première fois, mais ne réussissant qu'a tuer sa fille à naître et ne manquant pas son coup la seconde fois quand de nombreux ragots courant sur elle la rendent folle.
Romain Gary est Ivan Alejandro dans le livre de son fils. Un fascinant livre. Un plaidoyer pour la vie de la part du fils de deux suicidés.
Il n'y pas que de la tristesse ou de la mélancolie dans son livre, il y a aussi beaucoup d'élan d'espoir, d'où le titre. Il y a, pour l'amateur du père, de nombreux clins d'oeil. Et un double, comme Romain était double avec Ajar (et Bogat et Sinibaldi)On y apprend que Romain précipitait l'évolution de son fils de l'enfant à l'adulte, dans le but entre autre de pouvoir prendre la porte de sortie plus rapidement. Romain a toujours pensé se suicider. Il ne voulait surtout pas le laisser avec Jean qui perdait peu à peu la raison. Quand Jean s'est tuée, Romain se donnait maintenant la permission de la même chose.
On remarque dans le livre de Diego que dans Chien Blanc (1970) Romain, qui narre un récit et non une fiction, dit à une autre qu'il a dix ans pour l'éternité. Gary père, s'est envoyé une balle dans les gencives en 1980.
On découvre que La Vie Devant Soi, c'était à maints égards la relation d'Alexandre Diego avec sa nourrice et presque mère à part entière, Eugénie. C'est même l'utilisation romanesque d'un secret intime révélé par Eugénie sur son lit de mort.
On apprend aussi que M.Jeannot dans Les Angoisses du Roi Solomon, sorte d'intermédiaire et de messager entre Salomon et Mademoiselle Cora, c'est beaucoup Alex Diego, go between entre son père et sa mère, alors divorcés.
Mais voyez, je vous parle plus du maître que de l'élève. Et c'est l'enfant (orphelin de mère à 14 ans) qui devient homme malgré tout (orphelin de père à 15) qui se raconte.
De débauches espagnoles en blessures de l'âme.
Alexandre Diego Gary a été placé dans un aquarium obscur par ses parents alors qu'il n'était qu'adolescent. On est toujours entre deux eaux dans ce brillant livre.
La tâche d'être "le fils de...", de devoir se faire un prénom, est toujours lourde. Perpétuer ne devrait pas réduire autrui. Alexandre Diego ne veut qu'être. Son trouble est que ses deux parents ne le voulaient même pas pour eux-même et se sont effacés d'eux-mêmes.
De lui aussi.
Alexandre Diego a épousé la condition romanesque plutôt qu'humaine. On l'a presque guidé sur ce sentier. Mais, bien qu'on sente le poids des deux ombres, anciens soleils, qui l'ont placé sur terre, le livre reste naval. C'est-à-dire 160 petites pages qui nous font flotter entre les morts et les enfants dissipés heureux.
Avec ceux qui sourient en pensant à la mort regardant tout ça comme une plaisanterie de loin et de haut aussi.
C'est un fameux livre de la part du fils d'un fameux auteur et d'une fameuse actrice.
Alexandre Diego Gary est fameusement vivant.
Son livre est océanique, pleins de petites marées et de clapotis d'eau douce.
C'est à la fois la pluie et le soleil.
Et une large partie se déroule à Barcelone, une ville qui ne m'est pas étrangère non plus.
Je nageais mentalement dans la planète Gary, à pianoter autour de la piscine, tout de même encore habité par un livre qui exorcisait quelques morts sortis du vestiaire pour l'auteur, et je pensais au mien. Mon seul mort au placard.
Mon père.
J'écoutais malgré moi les voisins qui, de l'autre côté de la haie interagissaient avec leurs parents/beaux-parents comme je ne pourrais plus jamais le faire avec mon père.
Dans leur conversation, ils évoquaient le dernier souper avec la grand-mère, c'est-à-dire la mère d'un des deux parents sur place. Voilà une dynamique qui m'était encore plus étrangère n'ayant connu qu'un seul grand-parent. Et même pas 10 ans.
Alexandre Diego Gary a dû apprendre pratiquement toutes les dynamiques de la vie presque tout seul.
Il a 53 ans depuis deux semaines.
Il a survécu sa mère de 13 ans.
Il brave encore toute les tempêtes.
Il est océanique.
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