Dans mon quartier, il y a beaucoup d'italiens.
Il y a donc aussi beaucoup d'italiennes. Une fois mariée, certaines tombent assez facilement dans ce que j'appelle le
DeseperateHousewifisme. C'est-à-dire, que ce sont des femmes au foyer qui se cherchent du "quelque chose" à meubler dans leurs journées.
Moi de jour, je suis presque toujours chez moi. Donc, je les vois. La plupart gère leur propre galerie et se jasent comme le faisait la grosse femme d'à côté de Michel Tremblay et Albertine de ruelle en ruelle.
Trois d'entre ces femmes, une italienne dans la soixantaine une non-italienne (je crois) faussement blonde et tatouée et une asiatique daltonienne, retiennent mon attention pour les mauvaises raisons.
Ce sont même trois irritants pour l'oeil. Je méprise la ville que j'habite, mais je m'y fais. Toutefois quand mon oeil croise l'une des trois, tous les jours, ce mépris refait surface.
La première est la mère de notre 10ème voisin sur la droite. Ou c'est la mère de celle qu'il a épousé, je n'ai jamais su. Je ne lui ai jamais parlé. Je la salue par politesse, mais je sens une grande retenue de sa part à s'entretenir avec moi comme elle le fait avec tout le monde dans la rue. Elle parle de manière très agitée, toujours avec une tête très consternée et avec cet élan italien qui donne l'impression que vous êtes en plein milieu du troisième acte d'une tragédie d'opéra. Je crois que je l'intimide. Je connais son fils (ou son gendre) dont le fils joue au hockey dans une catégorie un an plus vieux que le mien, année après année. On se croise dans les arénas de temps à autre. Comme le père et le fils ont tous deux très mauvaises réputations (le joueur est salaud et le père bruyant et exubérant dans la foule) je me contente généralement d'un distant "salut, ça va?" et du strict minimum dans la conversation.
"Comment va la saison? ton gars? ta fille? Ça roule comme vous le souhaitiez?". Je sais qu'il est électricien, même si je ne le vois jamais travailler et que sa femme quitte la maison tous les matins. Elle doit donc travailler ailleurs. La mère ou belle-mère, elle, patrouille les trottoirs comme la PDG du quartier. Elle marche même très souvent carrément DANS la rue. Comme son fils ou son gendre, enfin ses petits-enfants sont nos 10ème voisins, alors les parents/beaux-parents sont les 11ème voisins.
'sont quand même italiens.
Ce quartier, dans sa tête, appartient à la
madre.
Quand nous avions emménagé en décembre 2002, dès que le mois de juin suivant s'est pointé, ils avaient organisé une vente de garage*. Mes parents et mes deux soeurs étaient venus de Québec passer la nuit chez nous un week-end et ma mère et mes deux soeurs s'étaient rendus un samedi matin, avec leur candeur toute 418, pour aller fouiner dans leur vente de garage.
Comme si c'était un pré-requis pour acheter, la madre avait demandé à ma mère qui elle était. Ma mère, toute heureuse de se présenter avait dit qu'elle était la mère du papa dans le jeune couple qui habite la-bas depuis décembre. La madre avait fait une face comme on fait quand on débouche un pot d'aliments pourris et elle avait dit avec un brin de snobisme et une once d'indignité:
"Oh! je les connais pas eux..."
Ma mère et mes soeurs avaient tous éclaté de rire. Comme si ça avait été une obligation!** Elles l'avaient flairée comme elle est: "petit boss des bécosses de la rue". Elle est toujours en train de marcher entre chez elle et ailleurs.
Autant que la blonde tatouée. Plus bas, au sud de chez nous, il y a "les blocs". Des appartements qui offrent une régulière rotation de locataires. Des HLM. Certains transpirent la pauvreté. La blonde tatouée y est avec ses deux filles depuis au moins deux ans. Elle a une tête de chien. Je ne dis pas ça pour être méchant, elle a vraiment une tête de molosse. Vous savez cet air qui menace toujours de mordre de japper ou d'attaquer? Elle n'a pas une once de féminité. Je l'imagine toutefois très bien se servir d'un bat de baseball. Elle semble perpétuellement tendue. Elle a de bonnes épaules et est très peu délicate. Elle marche d'un pas lourd. Elle a la voix rauque de la fumeuse et paraît extrêmement vulgaire. Elle semble marcher TOUTE la journée dans les rues du voisinage. Je la vois toujours quand je reviens de travailler de ma nuit et ce n'est pas comme si elle revenait où se rendait travailler, elle semble toujours improviser.
On me dirait qu'elle serait assistée sociale que je ne serais pas du tout surpris. Elle a tout du cliché de la personne vivant sur les prestations d'aide sociale. On me demanderait de dessiner une assistée sociale que je la dessinerais.
Je la vois sous plusieurs angles. Quand elle se rend au dépanneur se chercher des cigarettes, quand elle les fume sur le perron avant du bloc, quand elle traverse la rue plutôt errante, quand elle se rend pour aller chercher ses deux filles (plus jeunes que la mienne) à la même école que la mienne. JAMAIS je ne l'ai vu rire. Je suis même incapable de l'imaginer rire. C'est con, pour avoir entendu un peu de ses conversations avec ses filles, je trouve qu'elle dégage une tonne d'ignorance.
Plus con encore, je suis franchement tanné de la croiser dans les rues. D'autant plus qu'elle regarde partout sans jamais sembler voir quoi que ce soit. On se croiserait ailleurs dans une autre ville, que je serais le seul à la reconnaître.
Elle patrouille les rues telle une verrue sur un bras bronzé.
(
Là je suis méchant et j'assume)
La dernière habite tout à fait en face de chez moi, L'asiatique daltonienne a hérité de ce patronyme car elle s'habille de manière outrancière. Comme quelqu'un qui ne distingue aucunement ses couleurs. On la remarque d'abord parce que c'est une asiatique au cheveu teint blond platine. Assez rare, déjà. Ensuite parce qu'il n'est pas rare de la voir porter un gilet rose fushia assorti d'un bermuda bleu ciel ou une chemise violette foncée sur un pantalon jaune serin criard. Elle est un furoncle.
Quand ma fille est née, j'étais en sa jeune compagnie un matin et j'ai manqué le passage de la collecte des vidanges. Comme je sais que dans sa routine, le camion ira ensuite faire l'autre côté de la rue, j'ai donc transporté ma poubelle de l'autre côté de la rue, ne serais-ce que temporairement, le temps que la camion ramasse mon affaire. Cet autre côté de la rue se trouvait donc sur le trottoir face à chez l'asiatique daltonienne. Comme elle n'a rien à faire de ses journées, elle m'épiait probablement et a traversé la rue pour venir sonner chez moi. J'étais en bedaine, avec ma fille naissante dans les bras,
"Oui?" j'ai demandé dégoûté du visage devant moi.
Avec un fort accent asiatique et un brin de frustration le furoncle a dit:
"Vous avez mis votre poubelle chez moi"
"Non, je l'ai mise sur le trottoir"
"Devant chez moi"
"Oui c'est temporaire, j'attends que le camion de vidanges passe et je le reprends, ne craignez rien..."
"...les fourmis,,,"
Comme il n'y avait pas de verbe dans sa phrase, j'ai pensé qu'elle se présentait je me suis aussi présenté.
Laid fourmie a enchaîné:
"Il va y avoir des fourmis"
"Pas plus qu'il n'y aura de dragons, allez, dormez en paix"
J'aillais fermer la porte mais elle faisait glisser son faux-pas vestimentaire dans ma maison et j'ai pris peur. J'étais moi-même en bedaine donc assez douchebag, assez fraîchement sorti du lit, donc les cheveux en bataille,
et de plus en plus irrité par ce bout de femme (elle m'arrive au genou, c'est peut-être ça les couleurs, le besoin d'attirer l'attention).
J'ai finalement été coucher lâchement un sac de poubelle fermé sur ma poubelle (comme si ça allait changer quoi que ce soit!) et l'asiatique voyait son grave problème du jour enfin réglé.
Fuckin' diplomat que je suis,
Mais cette semaine, j'ai surpris la blonde tatouée fouiller dans ma benne à recyclage.
"Qu'est-ce que vous faites?" que j'ai demandé avec trop de politesse.
Sans s'arrêter, sans même lever les yeux, elle a répliqué qu'elle cherchait des canettes.
"C'est peine perdue, je vais les porter moi-même dans la machine à l'épicerie, ne cherchez pas pour rien"
Ça m'a un peu fendu le coeur.
Cette patrouilleuse de rue est toujours dans les rues parce que c'est presqu'une sans-abri.
Ces deux petites filles...enfin...
Je l'ai rattrapée plus loin sur la rue et lui ai donné un sac plein de canettes.
"je peux ben te donner celles-là si tu veux" que je lui ai dit en lui donnant le sac.
Elle n'a pas souri, n'a pas dit merci, l'a pris et est partie.
Irritant je vous dis...
*Sport national des banlieues
** Devant la reine,, on s'incline et se présente....