10 ans de pur talent créatif.
Federico Fellini a été magistral comme cinéaste. Particulièrement dans ces 10 années. Son cinéma lié à la modernité européenne se caractérisait par une artificialité revendiquée de la mise en scène et l'absence totale de frontière entre le rêve, le fantasme, l'imaginaire l'hallucination et le réel.
Federico aura fait voyager et rêver. Il le fait encore. J'ai vu récemment le dernier film disponible en vidéo de Paolo Sorrentino et ça m'a fait dériver petit à petit vers Antonioni, Bertolucci et naturellement vers le plus grand: Fellini.
J'ai deux de ses films chez moi que je compte bien revisiter prochainement.
Revisitons ces 10 ans de création.
1954
Fellini a eu beaucoup de succès en Italie avec son film I Vitelloni en 1953. Avec Tullio Pinelli, il concocte une histoire de cirque ambulant mettant en vedette son amoureuse de toujours Giuletta Masina. Celle-ci n'est pas du tout le choix des producteurs Dino De Laurentiis et Carlo Ponti. Quand le tournage est prolongé parce que Masina s'est foulé la cheville, l'équipe de Fellini songe la remplacer car ils ne lui ont pas encore fait signer un contrat. Toutefois, quand les gens du studio voient les rushes, ils sont renversé par la performance Chaplinesque de Masina et 100% charmés. De Laurentiis, en bonne pute, change son capot de bord et ordonne son exclusivité sur l'artiste. Il lui fait signer un contrat d'urgence, qui restera, sexisme oblige, 3 fois moins payant que celui d'Anthony Quinn. Ce dernier y trouve aussi un problème dans le retard du tournage car il a un autre engagement sur un autre film. Il songe à quitter le plateau de ce petit italien agité en cours de tournage. Mais il voit son film précédent (I Vitelloni) sans savoir que c'est Fellini qui l'avait tourné et se sent entre bonnes mains. Fellini le convainc aussi de tourner avec lui le matin très tôt et l'après-midi dans son autre tournage. Comme Quinn joue Attila le hunt sur l'autre tournage, il trouve assez de fatigue pour y intégrer de la folie dans l'oeil du brutal Zampano le matin chez Fellini et de l'animal Attila l'après-midi.
La cruelle histoire de La Strada sera un énorme succès en Italie et en Europe.
Secrètement, avant même la fin du tournage, Federico tombe dans une grave dépression et fait entrer la psychanalyse dans sa vie. Secrètement, seul sa femme (Masina) et peut-être un(e) assistant(e) ou deux sont au courant.
Et un psychanalyste.
1955
On commence à dire que les tournages de Fellini sont un spectacle. Celui qui le donne sur le plateau du prochain film de Federico, pensé avec Ennio Flaiano et Tulio Pinelli (comme toujours) c'est Broderick Crawford. Fraichement sorti d'un xème divorce et désintoxiqué sévèrement de l'alcool, il replonge dans la bouteille pendant le tournage qui coïncide avec la fête du vin dans la région où ils tournent. Crawford passera le tournage dans un grand brouillard alcoolisé. Richard Basehart, le clown de La Strada, s'est lié d'amitié avec Fellini et Masina. Il a même, peut-être, une aventure avec Giuletta. Mais Federico est tout aussi volage. Basehart et Masina incarnent mari et femme dans Il Bidone, tourné au milieu des années 50 dans une Italie en reconstruction. C'est un film sur la disparition de l'art d'escroquer son prochain "à l'italienne". L'ironie de Fellini est d'y faire jouer des acteurs des États-Unis. Le montage force des sacrifices qui ne rendent plus justice au produit final et le public est généralement déçu. La cote de Fellini retombe à son plus bas. le film ne sortira en Amérique que 11 ans plus tard. Et l'accueil restera tiède.
1956
Fellini aura toute sa carrière de la difficulté à se trouver des producteurs. Après l'échec de Il Bidone, plus que jamais. Il est refusé par au moins 12 producteurs avant que De Laurentiis ne revienne dans le décor. Le sujet du prochain film effraie. Fellini s'inspire à la fois du récit atroce d'une tête décapitée de femme, retrouvée sur la rive du lac de Castel Gandolfo l'été précédent, et à la fois des récits d'une prostituée, Wanda, rencontrée sur le tournage précédent pour écrire et penser Les Nuits de Cabiria. Comme on parlera de prostituées. tout le clergé se cabre et l'idée d'exposer cet univers au monde entier effraie les (pieuses) autorités italiennes.
Pier Paolo Pasolini est sollicité pour aider aux dialogues de Fellini/Flaiano/Pinelli, puisqu'il connait bien et fréquente le monde interlope (qui le tuera aussi) et on adapte l'histoire du roman de Marla Maolinari aux idées qu'on avait déjà. L'année avait été bonne et inspirante puisque les Oscars aux États-Unis donnent à Fellini le tout premier Oscar de meilleur Film en Langue Étrangère à son film La Strada qui avait atterri peu de temps auparavant. Fellini perd son père cette année-là et s'en voudra de ne pas lui avoir assez parlé de son vivant.
1957
Le film Le Notti Di Cabiria est lancé et devient le second chef d'oeuvre international de Fellini. L'auteur offre un autre rôle extraordinaire pour sa femme Giuletta Masina et fait preuve de brillant talent politique en tournant un film sur la vie de prostituées extrêmement prudes. Ne froissant aucunement tout ceux qui étaient convaincus de l'être avant même une scène de visionnée. Federico a écrit un scénario entier, Voyage avec Anita, et le projet, pratiquement autobiographique, avec un deuil paternel et une maîtresse, doit mettre à l'image Sophia Loren, l'épouse du producteur Carlo Ponti. Mais justement, Ponti et De Laurentiis ne s'entendent plus. Bien que des traces du scénario apparaîtront dans les films qui suivront (Avec une Anita justement: Ekberg, ) le projet avorte complètement.
1958
L'année commence merveilleusement pour F.F. alors que Nights of Cabiria remporte l'Oscar du meilleur film étranger aux États-Unis. Fellini, Pinelli (à contre-coeur) et Flaiana retricotent un scénario d'abord appelé Moraldo in Citta racontant des épisodes d'une génération n'ayant pas connu la guerre et de ce nouveau genre de journalisme (Fellini a commencé sa vie d'adulte dans la profession de journalisme) qu'est la chasse de vedette par les photographes qui les mitraillent de photos et de flashs. Fellini veut du moderne. Du Picasso. De Laurentiis s'en effraie, on aura besoin d'un nouveau producteur. L'année passe à se chercher des producteurs, à réécrire le script et à faire le casting. Marcello Mastroianni est choisi. Moraldo deviendra Marcello et le film s'appellera La Dolce Vita.
1959
Le tournage de La Dolce Vita est un véritable hapenning. On tourne la scène de la fontaine deTrévi avec Ekberg et un Mastroianni complètement saoûl pour lutter contre le froid de l'eau. Cette scène est inspiré d'un moment de folie de Zelda et Scott F. Fitzgerald dans les années 20 à New York. Pour eux, ça avait été la fontaine de l'Union Square et celle de l'Hôtel Plaza pendant leur lune de miel. Le tournage, ponctué de visites de badauds, de curieux, d'amis et de stars, se termine en septembre. Giuletta est occupée toute l'année sur un autre film. Pasolini est secrètement amené aux dialogues à nouveau et le film est sur le point de faire sensation dans le monde.
1960
La Dolce Vita raconte l'allégorie comico-dramatique du désert présent derrière la façade d'un perpétuel carnaval. Le héros, Marcello, est journaliste et pratiquement handicapé moral. Il semble vouloir aspirer à une vie meilleure, en quête d'une aide que personne ne peut lui accorder. La scène finale nous le montre sourd aux appels d'autrui. Le film, fresque magistrale, est un véritable chef d'oeuvre. Fellini peut-il être meilleur encore? Point de départ d'un lucide examen de conscience, le film change la planète cinéma et sa manière de raconter des histoires. Le film est un manifeste d'une seconde libération. Celle qui, dans les naissantes années 60 fera briller les Kennedy, Khrouchtchev ou Jean XXIII. C'était l'exposition d'une culture omnivore et d'une faim d'expérience longtemps contenue, d'une curiosité existentielle nourrie par un puissant besoin d'être libéré de quelque chose. De la pression de la vie? Ce film parfait a encore beaucoup d'échos aujourd'hui. Ce film, par son personnage photographe/vampire nommé Paparrazo a donné naissance au mot paparrazzi.
1961
Ça semble risible de nos jours mais l'Italie extraordinairement chrétienne d'alors vit un véritable cataclysme avec la sortie du film. Toutes les autorités morales s'agitent. Les valeurs du film sont jugée condamnables et tout le bruit fait une splendide publicité au film. Avec l'éclosion internationale d'Antonioni la même année et de Visconti, le cinéma italien est devenu quelque chose de très recherché. La Dolce Vita rafle la Palme d'Or à Cannes et le film est un véritable triomphe. La Dolce Vita a provoqué un séisme qui annonce la chute du pouvoir moral religieux. Fellini se laisse porter par la vague et vit de manière plus ou moins désordonnée. Néanmoins Fédérico crée sa propre maison de productions de films. Cette année-là, il tourne un segment de 52 minutes, une histoire de docteur, dans un film à quatre réalisateurs (Visconti, Monicelli, De Sica & lui) Boccaccio '70 avec Peppino De Fillipo et Anita Ekberg, son premier (demi)film en couleur. Quand le film est amputé du segment de Monicelli pour le festival de Cannes, par solidarité, les trois autres réalisateurs exigent de retirer le film, ce qui brouille Fellini avec Ponti et Sophia Loren pour de bon. La diffusion du film restera rare dans le monde.
1962
Fellini n'est nullement intéressé par les projets de films des autres, il a assez de négocier avec ses propres doutes et ses propres idées. Il lègue la presque totalité de la gestion de sa société de production à des associés. Pour le psychanalyste de F.F. le rêve est aussi important sinon plus que la pensée en état de veille. F.F. s'intéresse de plus en plus à la magie, l'ésotérisme et aux esprits. Les deux prochains films seront entre le rêve et les esprits. Au début des années 60, Fellini a épuisé ses sujets, réglé les comptes en suspens et payé sa dette à l'école du néoréalisme dont il a dépassé le point de vue et les enseignements, entrant dans une dimension plus vaste, labile et fuyante. Dès lors, on peut dire que, pour Fellini, la vie est un songe. C'est dans ce contexte onirique qu'il scénarise, (toujours avec Pinelli & Flaiano) et commence à tourner 8 1|2.
1963
Au bord de l'effondrement moral, Fellini colle près de sa caméra les mots "rappelle-toi que tu tournes une comédie". Mais son film est plutôt une confession dramatique de son état d'esprit évanescent. Nino Rota à la musique, Gianni Di Venanzo à la cinématographie et Piero Gherardi aux costumes et aux décors sont des superstars au même titre que Mastroianni ou Fellini dans 81/2. Fellini est marqué par des épisodes névrotiques et il exorcise tout ça dans son film. F.F. met en scène sa conscience, ses secrets inavouables et même le drame du film à faire, le doute récurrent qu'entraîne l'impuissance créatrice, le grand carnaval du cinéma tout entier.
L'un des films les plus admirés de Fellini enseignera la difficulté, l'effort, la douleur et la joie de dire "je" au cinéma. Ce sera copié des dizaines et des dizaines de fois dans les années à venir. Ça l'est encore. Le huitième film et demi de Fellini est une tonifiante explosion de génie, que beaucoup continuent encore de considérer comme le sommet de la carrière du grand maître italien. Rarement, avant 1963, un artiste aura raconté une crise de sa capacité créatrice avec une telle richesse d'invention et d'images, avec une telle liberté de ton et d'associations. Avec une telle beauté folle, Fellini développe aussi une "affection" qui durera 17 ans avec la stupéfiante Sandra Milo.
1964
Un troisième Oscar est remis à Federico Fellini pour son brillant film, 8 1/2 en avril. Il écrit (toujours avec Flaiano & Pinelli) et tourne Juliette des Esprits, intégrant, magie, esprits, sa femme Giuletta, sa maîtresse Sandra, et la couleur pour toujours dans ses films.
11 ans plus tard, F.F, rafle un quatrième Oscar dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère.
Federico était un géant.
Merci la vie pour Fellini.
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