Chaque mois (dans les 10 premiers jours), comme je le fais pour la littérature (dans les 10 derniers) et la musique (vers le milieu) je vous parle cinéma.
Je vous parle d'un effort qui m'a charmé par sa réalisation, sa trame sonore, sa cinématographie, ses comédiens, son décor, ses thèmes, ses angles choisis, son propos, ses propositions, son audace, souvent tout ça en même temps.
J'ai travaillé, joué et étudié en cinéma, on n'efface pas une passion forte comme ça.
Je vous parle d'un film dont j'ai aimé tous les choix et vous explique un peu pourquoi.
SASOM I EN SPENGEL d'INGMAR BERGMAN
En 1961, Ingmar Bergman a déjà 23 films à son actif. Il a 43 ans. Il est à 5 ans de devenir parfaitement immortel. Il remporte, pour la seconde année consécutive, l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, pour À Travers le Miroir (L'année d'avant, c'était pour La Source).
Le Suédois Bergman a impressionné à travers le monde avec Monika et la toute aussi charmante Harriet Andersson, en 1953. Deux ans plus tard, il fait mieux encore. En 1957, la reconnaissance internationale lui vient et on pense qu'il a atteint le sommet de ce qu'il peut faire. Mais la même année, il brille de sagesse avec Les Fraises Sauvages. Il sera nommé pou un Oscar, celui du meilleur scénario original. Avec La Source, il adapte une légende folklorique Scandinave et on le récompense enfin aux Oscars pour tout ce qu'il semble apporter comme influence mondiale. Puis, À Travers le Miroir.
Après avoir pris plusieurs notes sur ce qu'il veut raconter, principalement l'idée d'une réconciliation avec ses propres parents, avec lesquels il est en brouille, Ingmar écrit son scénario sur l'île de Toro, dans une archipel de Stockholm. Il imagine une histoire en trois actes, dont chaque acte pourrait être le miroir d'un autre. Montrant ainsi toujours la même chose, mais d'angles différents. Ceci mènera au passage biblique des Corinthiens, dont le titre du film est issu.
Karin vient récemment d'être libérée d'un institut psychiatrique. Elle retraite, avec son mari, David, son jeune frère de 17 ans, Minus, et leur père, David, un écrivain en panne d'inspiration, sur une île. C'est l'extraordinaire cinématographe du film Sven Nykvist qui recommande l'ìle de Farö à Bergman. Îl où il tournera encore beaucoup de films. À Travers le Miroir sera le premier. Et le premier avec le sensationnel Nykvist comme directeur photo.
24 heures dans la vie de ce quatuor nous montrera des tensions intenses entre tous, un père accusé de sacrifier sa fille au détriment de son art, une fils, frustré sexuellement, cachottier mais aussi "conscience" de la famille. Karin croit voir Dieu, et son regard, presque vide. Elle pense même que Dieu serait une araignée. Ce qui sera davantage creusé comme concept dans le film suivant de Bergman, un Dieu piégeant ses proies dans sa toile*.
Elle entend des voix aussi. Ce qui provoque chez elle des comportements irrationnels. Elle flirte avec son propre frère.
Karin découvre dans le journal personnel de son père que sa maladie serait incurable. Elle peine à composer avec l'idée de vivre dans deux mondes. Le réel et l'univers créé par sa maladie.
Ingmar avouera s'être beaucoup inspiré d'une jeune femme qu'il a connu plus jeune (probablement sa femme, l'actrice Käbi Laretei, à qui il dédie le film). La scène où David parle de sa tentative de suicide fait référence à la propre tentative de suicide de Bergman, en voiture,en Suisse, fonçant vers un précipice, et uniquement sauvé par une mauvaise transmission s'étant enrayée, alors qu'il s'appétait à tourner Sourires d'une Nuit d'Été.
Bergman parle de ce film, À Travers le Miroir, comme étant une tentative désespérée de présenter le plus simple des messages catholique: Dieu est amour, et l'amour est Divin.
Dans sa tradition de tourner du théâtre en film, Ingmar tourne Harriet Andersson, Max Von Sydow, Gunnar Björnstrand et Lars Passgard comme un quatuor à cordes, dans une intimité théâtrale remarquable.
Andersson, comme toujours, y est irrésistiblement sexy et très impressionnante dans un rôle exigeant des écarts émotifs importants, ce qu'elle ne voulait pas faire au début, mais dont elle a réussi à tirer une performance exceptionnelle.
Bergman avouera avoir aussi été influencé par La Mouette de Tchekov, pièce qu'il montait en parallèle, au Royal Academic Theatre.
Film construit intelligemment, austèrement réaliste, Andersson y jouant la beauté expressive que l'on peut tirer d'une obsédante sensibilisation. Légèrement pieux. Intense. Formidable.
Comme le seront facilement une douzaine des films d'Ingmar Bergman.
*À Travers le Miroir est le premier film d'une trilogie, non narrative, sur le thème d'un monde confronté à la désertion spirituelle. Les deux suivants étant Winter Light & The Silence.
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