Un film qui m'a ouvert les sens.
J'ai chez moi les 12 longs-métrages de Stanley Kubrick. J'aurais pu facilement vous parler aujourd'hui de la moitié d'entre eux. Celui de 1962, de 1963, de 1968, de 1975, de 1980. J'ai déjà parlé, très largement de son dernier film. Celui de 1999. En trois chroniques.
Je vous parle de celui de 1972. Dont le lancement international a eu 45 ans, il y a deux jours.
Un "petit film" à faire selon Kubrick, entre deux, à plus grands déploiement.
1969.
Kubrick vient de passer les 4 dernières années à écrire, tourner, monter, produire sa merveille que fût 2001: A Space Odyssey. Les décors ont été montés avec gigantisme en Angleterre et l'équipe était innombrable. Le succès fût tout aussi gros que le tournage. Immense.
Mais Kubrick est nettement capable d'en prendre. Il a envie de tout aussi grand: Napoléon. Par lequel il est largement fasciné depuis au moins le début de années 60. Il s'est extrêmement documenté, il a fait appel au plus grand spécialiste Napoléoniste pour ses recherches, il en a même rédigé le scénario de 167 pages en 1968. La recherche des costumes est en chantier et des photos sont prises. On projette de commencer le tournage en hiver 1969 en tournant d'abord les scènes de bataille. Stan compte innover en utilisant de l'éclairage à la chandelle pour certaines scènes. Ce qu'il fera finalement pour Barry Lyndon, tourné en 1975. (il reprendra beaucoup des idées de Napoléon pour Barry Lyndon)
Désirée, d'Henry Koster, mettant en vedette Marlon Brando et Merle Oberon dans les rôles de Napoléon et Joséphine, et qui mettait l'accent sur une maîtresse du diable botté , Désirée Clary (jouée par Jean Simmons) n'avait pas fait ses frais en 1954. Le film de 1927 d'Abel Gance restait encore une référence. Phénomène technique pour l'époque, il ne révolutionnait rien au niveau de l'histoire et de l'interprétation, caricaturale, puisque muet. Justement, le film de Gance ne couvrait que la première partie de la vie de Bonaparte (il comptait en faire une seconde, n'a pas eu le temps, ni les ressources) et le scénario de Kubrick couvrait principalement la seconde, à partir de 1815 jusqu'à sa mort.
Le studio MGM ayant changé de président. mais surtout ayant essuyé de profonds échecs financiers dans les films à grand déploiement comme Star! avec Julie Andrews et Hello, Dolly avec Barbara Streisand. Le nouveau président était donc interdit à sortir de gros sous pour Stanley. Ce dernier a donc dû mettre le projet sur les tablettes.
Terry Southern, qui avait co-scénarisé Dr Stranglove avec Kubrick, lui avait donné une copie de la nouvelle d'Anthony Burgess. Celui-ci l'avait écrite pour, entre autre, exorciser le viol dont avait été victime sa femme pendant la Seconde Guerre Mondiale, agression qui lui avait fait faire une fausse couche. Comme dans l'oeuvre de Burgess, le livre traitait beaucoup de ce qui serait considéré comme "bon" en société et sur la perception de ce qui ne le serait pas. Fameux linguiste, avec toute sortes de trouvailles langagières.
Kubrick, investi en Napoléon, n'avait pas trouvé une minute pour le livre. Sa femme, toutefois, avait pris le temps de le lire et quand Napoléon a été mis sur les tablettes, lui en a fortement suggéré la lecture. Kubrick en est sorti extrêmement excité, y trouvant une histoire fabuleuse, des idées fortes, des personnages intéressants et un langage fascinant. Dès la lecture du 4ème chapitre, il avait Malcolm McDowell en tête, qu'il avait adoré dans un film de Lindsay Anderson vu peu de temps avant. Kubrick se trouve alors stimulé politiquement, sociologiquement, philosophiquement et s'est senti dans une sorte de rêve psychotronique qu'il a ensuite rendu sur pellicule à merveille.
Le tournage commence le 7 septembre 1970 et la première aura lieue le 19 décembre 1971 aux États-Unis. Le 13 janvier 1972 en Angleterre. Le 2 février 1972, partout.
A Clockwork Orange raconte l'histoire d'Alex, leader d'une bande de "droogs", dans un Londres dystopique, intoxiqué au "lait-plus" qui, un soir d'ultra-violence, choisit de se battre avec une gang rivale, envahir une maison, masqués, agresser son propriétaire, un vieil écrivain et violer sa femme, avant de faire face à une sorte de remise en question de ses amis droogs. Qu'il attaque à son tour le lendemain.
Afin d'assoeir sa suprématie, Alex et ses droogs envahissent la résidence d'une femme, amoureuse de chats. Les droogs restent dehors, mais Alex y entre et la tuera. Arrêté sur place. il sera condamné à 14 ans de prison, mais surtout sujet d'expérimentations sur le comportement violent. Les traitements expérimentaux tentent de lui supprimer les images de violence du cerveau et de les associer à de nouvelles images plus saines. Images et sons sont mis à contribution. Alex a maintenant la nausée face à des images de sexe et de violence. Devenant incapable de se défendre en test quand un acteur l'attaque et devenant malade à la vue d'une femme les seins exposés, on le considère guéri et il est libéré.
À sa sortie, il est plus ou moins banni de la maison familiale, ses parents l'ayant remplacé par un jeune homme de son âge, locataire. Alex croise un clochard, que ses droogies et lui avaient battu auparavant. Celui-ci le reconnaît, et avec des amis clochards, le corrige à son tour avant qu'alex ne soit sauvé par 2 policiers, qui sont 2 de ses anciens amis, droogies. Maintenant en position d'autorité, ceux-ci choisissent aussi de le torturer. Vengeant les hostilités du passé. Ils l'abandonnent sur le bord de la route. Alex reprend ses esprits et se rend à la maison la plus près pour avoir un peu d'aide, maison qui sera celle de l'écrivain qu'ils avaient agressé. maintenant en chaise roulante et qui a besoin en tout temps de son géant de garde de sécurité/aidant naturel*. L'écrivain droguera Alex lors d'un repas et en jouant du Beethoven, musique favorite d'Alex, le pousse au suicide.
Alex survit à sa tentative de suicide, mais une fois soigné à l'hôpital, retrouve ses vieux réflexes d'animal violent et d'agresseur sexuel. Ce qui échappe aux autorités qui tentent d'en faire un exercice de relations politiques en leur faveur.
"J'ai été guéri!" clame-t-il, enthousiaste, au moment où nous avons eu des preuves du contraire.
Burgess trouvera que le film est un parfait complément à son livre et écrira même Napoleon Symphony, le dédiant à Kubrick, et dans le but qu'il en fasse un film, un jour, ce qui ne se fera jamais.
Après que de vrais crimes eurent été commis en copiant les acteurs du film, aux États-Unis et en Angleterre, mais surtout suite à des menaces fait à sa famille, Kubrick choisit de retirer le film à partir de 1974 (en Angleterre seulement) et ce jusqu'en mars 2000.
Le film offre des décors formidables, une trame sonore hantée combinant musique classique et claviers sombres et mystérieux de Wendy Carlos, ainsi qu'un regard sévère sur les programmes de réhabilitation psychologique.
Pour amateurs de fabuleuse direction artistique, de questionnements moraux, de psychologie, de société anglaise, de Kubrick, de singularité langagière, d'ironie, de punk, d'anarchie, de la 9ème de Beethoven et de ballet de violence.
Un autre de mes films préféré y fait clairement un clin d'oeil (lettrage du bar vers 1:03).
McDowell s'est abimé la cornée lors des premières scènes tournées où on lui garde de force, les yeux ouverts, avec de la broche.
Kubrick nous a gâté avec de splendides images dans un splendide film.
Ce qu'il semble n'avoir fait que 12 fois sur 12 dans sa vie.
Rien que ça.
Le film a eu 46 ans cette semaine.
Le livre 55 ans, cette année.
*David Prowse était culturiste et haltérophile, et de ses 6'6, deviendra riche dans le costume de Darth Vader pour les films de 1977, 1980 et 1983 de Star Wars.
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