lundi 26 décembre 2016

Jean Genet

J'ai un faible pour les enfants terribles.* Jean Genet l'a été tout naturellement.

Son père disparaît dès sa naissance, en décembre 1910, l'assistance publique dévoilera qu'il s'agit d'un homme du nom de Frédéric Blanc, mais c'est tout ce qu'on saura de lui à jamais. Sa mère, femme de chambre, abandonne bébé Jean à 7 mois. Jean relèvera de l'assistance publique et sera élevé dans une famille adoptive. Réservé et taciturne, il éprouve ses premiers désirs envers les garçons, encore enfant. Son premier amour deviendra Divine dans ses livres, puis l'héroïne de Notre-Dame-Des-Fleurs. Il est aussi bouleversé par les hommes virils plus âgés que sont les braconniers et les marginaux égarés. Il est si bon élève en classe qu'il termine premier au certificat d'études primaires.

À 10 ans, il se fait coincer pour vol à l'étalage, ce qui est un point tournant de sa vie. Il en fait un sacre existentialiste et le revivra jusqu'à sa mort. On l'envoie dans un centre d'apprentissage mais il en fugue. Il sera arrêté à nouveau pour vagabondage. Comme il collectionne les fugues, il est envoyé à la colonie pénitentiaire agricole de Mettray, où ses pulsions homosexuelles sont confirmées. Il en sort à 18 ans et devance l'appel militaire en s'engageant dans la légion étrangère. Il découvre l'Afrique du Nord et le Proche-Orient pendant 2 ans. Il y est aussi charmé par la perfection des corps africains.

Revenu à Paris, il vit de petits larcins de subsistance, et vole surtout des livres. Il se fait prendre et passera presque 4 ans en prison pour adultes. En tôle, il y prendra la plume et composera esquisses de romans et poèmes. Perfectionniste, il réécrirait sans arrêt, et le fait. Le secrétaire de Jean Cocteau publie ses premiers écrits, mais comme les écrits de Genet, dans les jeunes années 40, sont tout de suite jugés pornographiques, et sous l'occupation nazie, donc, distribués sous le manteau.

En effet, Genet bouleverse les moeurs en parlant de désirs et de nuits homosexuels parisiens dans son premier roman, ainsi que de travestisme. C'est trop pour les années 40. Genet développe une fascination pour la virilité nazie et le culte du corps qui accompagne le mouvement. Ça le laissera toujours dans une zone grise et il sera visé par des accusations d'antisémitisme toute sa vie. Il était moins antisémite que béat d'admiration pour les corps mâles, allemands ou autres. Ce qui concordait avec l'admiration nazie.

Les Miracles de la Rose, publié en 1946, s'inspire de ses années d'internement à partir de l'âge de 16 ans. Genet ne peut s'empêcher de voler. À une troisième condamnation, il risque la prison à perpétuité. C'est Jean Cocteau qui le tire d'embarras à ce niveau. Jean-Paul Sartre s'éprend de l'écriture raffinée et riche qui exalte la perversion , le mal et l'érotisme de Genet. Ces deux grosses pointures intellectuelles font entrer Genet dans le milieu littéraire parisien. Mauriac en revanche, le méprise. Les enfants terribles dérangent.

Genet publiera du théâtre (8 pièces), de la poésie (5 recueils), 12 romans ou récits et plus de 60 articles ou essais.

En 1948, est publié une oeuvre complète des poèmes de Genet et c'est Sartre qui en signera la préface. Toutefois, Sartre est si enthousiasmé par Genet, qu'il en écrira 625 pages...de préface...qui bien entendu, seront tout simplement le premier tome des Oeuvres Complètes de poésie de Genet. Celui-ci s'en trouvera extrêmement gêné, et, vampirisé par Sartre, sera bloqué d'écriture pendant presque toutes les années 50.  Il scénarise et met en scène un film muet.

Il fréquente tout de même De Beauvoir, Giacometti, Matisse, Brassaï. L'odeur de scandale qui trône autour de ses écrits plait au milieu. Genet prend position contre les position françaises dans le conflit algérien. Il sera nettement plus engagé encore dans les années 60.

Il participe à des mouvements des manifestations sur les réformes de situations carcérales (secteur qu'il connait de l'intérieur), il se positionne contre la violence politique coloniale et quand on lui demande de parler des Black Panthers en Amérique, il s'y rend et se range derrière eux. En raison de son dossier judiciaire, il est interdit de séjour aux États-Unis, mais y sera quand même très souvent. Il se fait l'ami des Palestiniens, ce qui en rajoute sur son "antisémitisme". Il sera le premier européen à entrer à Chatila après les massacres et en tirera un texte important, Quatre Heures à Chatila, qui sera souvent monté en pièces de théâtre, encore aujourd'hui.

Les années 70-80 sont surtout marquées par des positions idéologiques, métaphysiques, théologiques et politiques.

Grand admirateur de Gide, il a tenté de leur rencontrer toute sa vie, sans succès. Genet a toujours inspiré d'autres artistes.

Bukowski et Kerouac le citent de manière élogieuse.

Hélène Martin rend hommage à sa poésie en musique de manière généreuse. Elle s'unira aussi à Jeanne Moreau et Etienne Daho pour honorer Genet.

Bowie avoue un jeu de mots malhabile avec Jean Genet pour l'une de ses chansons aussi. Christian Caujolle compose pour la formation Casse-Pipe un morceau inspiré de Genet. Louis-Pierre Guinard et Philippe Onfray, toujours pour Casse-Pipe font de même pour leur premier album. Shane MacGowan y fait aussi référence pour les Pogues. Bill Pritchard jase Genet lui aussi. Douglas Pearce avoue que Genet est une inspiration majeure pour son band Death In June. Dire Straits font un clin d'oeil à Genet eux aussi en parlant homosexualité. À la fin de son morceau solo, The Last English Roses. Pete Doherty, ancien Libertines, lit un passage de Notre-Dame-Des-Fleurs. Placebo traduit Notre-Dame-des-Fleurs.
John Zorn consacre un album entier inspiré de Genet.  Murat utilise un récit imaginaire sur Genet dans sa tournée de 2000, accompagnant la chanson Polly Jean.  Cocorosie chante aussi son amour pour Genet. Les Têtes Raides, Les Chevals Hongrois et Babx ont tous touché au Condamné à Mort. Michaël Levinas fait un opéra de sa pièce Les Nègres.

Fassbinder adapte son roman Querelle de Brest au cinéma en 1982.  Tony Richardson avait au préalable adapté Les Rêves Interdits en 1966. Madame est Bonne est inspiré de Les Bonnes de Genet.

Angelin Preljocaj travaille un numéro de danse sur Le Funambule de Genet.

Jean Genet célébrait les personnages ambivalents au sein des mondes interlopes. Pas étonnant qu'il eût intéressés les artistes.

Il reste accroc aux barbituriques et erre d'hôtel miteux en hôtel miteux quand son partenaire de longue date s'enlève la vie. Rongé par un cancer de la gorge, il est victime d'une mauvaise chute et décède à l'âge de 75 ans.

En avril cette année, on marquait le 30ème anniversaire de sa mort.

*Je ne devrais donc pas trop m'en faire avec ma fille...


*Voilà pourquoi je ne devrais pas m'en faire pour ma propre fille.