16 juin 1944.
Albert Camus, depuis 1943, est à la tête de la direction du journal Combat, un quotidien français clandestin né pendant la Seconde Grande Guerre et organe de presse du mouvement de résistance. Camus a 30 ans. l'été suivant, il est invité chez Michel Leiris qui travaille avec des amis la mise en scène de la pièce de théâtre de Picasso Le Désir Attrapé Par La Queue. Pablo est aussi sur place. Sont présents aussi Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre. Simone a 36 ans et jouit d'une réputation très enviable dans le cercle des intellectuels. Jean-Paul Sartre a 39 ans. Il est l'un des chefs de file de l'existentialisme, un phénoménologue et un essayiste dont les talents sont reconnus partout dans le monde. Notamment grâce à son essai L'Être & Le Néant. Sartre est aussi directeur du journal idéologique Les Temps Modernes.
Peu de chose unissent Camus et le couple Sartre/de Beauvoir. D'ailleurs dès leur première rencontre, Camus insulte Simone en trouvant qu'un costume qu'elle a confectionné pour la pièce rappelle un castor. Surnom qui sera d'ailleurs celui de Sartre à Simone. Simone lui en voudra toujours.
Peu de choses devait lier Albert à Jean-Paul.
Camus est né à Alger dans une famille plutôt modeste et sa jeunesse a été axée sur le sport et la virilité.
Sartre est issu d'une famille alsacienne et bourgeoise, protestante, et le sport est cérébral dans sa vie.
Ils ont en commun de n'avoir jamais connu leur père.
Camus fait entrer Sarte à Combat. Sartre lui rend la politesse en le faisant entrer dans le cercle fermé des intellectuels de Saint-Germain-des-Prés et du Café de Flore. Ensemble, ils font une voix forte et respectée. Ils sont des références littéraires, politiques et morales. Toutefois les idées de l'un divergent peu à peu des idées de l'autre.
Camus ne se considère pas comme un philosophe. Bien qu'il dise qu'un roman ne soit qu'une philosophie mise en images. Sartre ne le considère pas comme un philosophe non plus. Mais il n'est pas d'accord avec l'idée du roman qui soit une philosophie en images. Les deux sont très près du communisme. En cette époque de Seconde Grande Guerre et de jeune après guerre, le communisme semble une idéologie romantico-révolutionnaire. Et Camus (surtout) et Sartre croient en la révolution et la révolte.
Bien que Sartre sache le régime soviétique sadique, cruel et totalitaire, il se sert du modèle pour critiquer le gouvernement français. Camus ne cautionne pas le procédé intellectuel.
L'Homme Révolté, d'Albert Camus, qui sort en 1951, provoque l'ire des communistes. André Breton lance les premières grenades. Camus est un révolté du dimanche et l'oeuvre n'est pas une révolte mais le fantôme d'une révolte. Sartre rajoute que leur amitié (Camus & Sartre) est corrompue et lourdement compromise. Le sceau de la rupture entre Camus & Sartre est scellé quand Françis Jeanson, signe un article dénigrant le livre de Camus dans la revue de Jean-Paul Sartre (Les Temps Modernes), donc avec son aval.
Camus écrira son mécontentement non pas à Sartre, l'ami/ancien ami, mais au directeur des Temps Modernes. Une lettre dans laquelle il dira qu'il est las des critiques de la part de ceux n'ont jamais mis que leur fauteuil que dans le sens de l'histoire.
Sartre lui répond aussitôt et lui souligne que l'amitié tend à devenir totalitaire. Et demande : "D'où vient-il, Camus?, qu'on ne puisse critiquer un de ses livres sans ôter des espoirs à l'humanité?"
En août 1952, la chicane est si importante que les journaux français titrent "Camus/Sartre: la rupture est confirmée".
Ils ne seront plus jamais dans la même voie morale.
Sauf à la mort d'André Gide quand tous les deux disent par le biais de leur revue respectives que Gide fût l'écrivain le plus libre du siècle.
5 ans plus tard Camus rafle le prix Nobel de Littérature qui l'acceptera à contrecoeur estimant qu'André Malraux le méritait plus que lui.
"Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse." dira-t-il dans son discours d'acceptation du prix en Suède.
Trois ans plus tard. un arbre, une voiture conduite trop vite par un Michel Gallimard trop excité, l'absurde nous vole à la terre Albert Camus par un gris après-midi de janvier.
Privant le monde de ce qu'aurait pu accomplir ce grand penseur qui comprenait le monde mieux que les autres.
4 ans plus loin, c'est Sartre qui rafle le même prix, qu'il refuse. Il tentera toute sa vie de changer le rapport entre les intellectuels et le peuple, mais sans réel succès.
Jean-Paul s'éteint beaucoup plus loin, en 1980.
Mais les deux hommes sont encore aujourd'hui des lumières dans ce monde gris.
Immortels.
Ami, pas ami, ils étaient géants.
Simone autant que les deux autres, sinon plus, car son impact est plus tangible encore.
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