"When the kids have killed the man I had to break up the band"
-D.J.
Au coeur de l'humiliation. Nous y étions.
Celui qui se prend pour notre patron depuis trop longtemps, savait qu'on devait le changer de bureau. Notre vrai patron, le directeur de prod. lui avait dit il y a un mois. Il passerait du seul bureau de l'entrepôt, où il y avait trois ordinateurs, son royaume, qui lui confirmait dans sa tête une sorte de pouvoir sur nous deux, responsables d'entrepôt, que nous ne respections pas, à un cubicule, le premier près du bureau du directeur. Comme un(e) enseignant(e) garderait près de lui/elle son plus mauvais élève.
G.Pawdépowl avait passé la majeure partie de cette journée, il y a un mois, où il se faisait annoncer qu'il allait changer de bureau, à négocier le contraire. À la vue de son visage défait en fin de journée, on savait qu'il avait pleuré. Et perdu sa cause. Le connaissant, on savait aussi qu'on venait de le tuer. Qu'il mourrait par en dedans. Qu'on lui avait coupé les couilles. Que Darth Vader était réduit à Mini-Me. Depuis, on savait aussi qu'il souhaitait secrètement que l'on ait oublié l'idée.
Depuis un mois, au courant de son déménagement perçu comme la plus grande démotion et et la plus humiliante des défaites personnelles par lui, mon collègue et moi nous échangions des sourires entendus et des regards complices entre deux chuchotements sur son sujet. Sachant le jour J arriver.
Lundi, Jour J. Une splendide métaphore opérait en ouverture de journée. Les gens du ménage de nuit avaient, par erreur, barré son bureau, le seul et unique bureau de l'entrepôt, qui lui donnait l'impression d'être si indispensable à nos vies. Et personne (nous avons déménagé en décembre) n'en avait la clé. Il était embarré en dehors de son bureau! Ce bureau qui ne devait plus être le sien! J'en faisais des blagues souterraines avec mon collègue d'entrepôt, qui était hautement responsable de ce qui se passait, ayant milité largement contre G.Pawdépowl, et à outrance, appelons-le Judas, je lui disais en sourdine que c'était un message de l'au-delà qui lui disait que ce bureau n'était plus le sien de toute manière.
Et bien une heure plus loin, ce bureau n'était plus le sien. Ça a mis Judas et moi dans un état d'euphorie difficile à contrôler. Pour limiter nos envies d'éclater de rire, on avait le réflexe de chanter ce que la radio nous jouait.
" ..all your insides fall to pieces..." je vous l'ai déjà dit, j'arrive à atteindre la voix exacte de Thom Yorke, Judas en est resté impressionné. Mais disons que les mots correspondaient trop à la parade du mort qui se jouait devant moi. Celui qui marchait de son bureau au cubicule, la tête basse. J'ai vite cessé de chanté. Pas Judas. Plus enflammé que jamais.
"Train!" chantait-il ensuite à son tour.
CHRRRRRRRIST la chanson s'appelait Fame! comment faisait-il pour chanter "train!"?. Mon Bowie en plus!
"Change!" au moins, cette fois, il empruntait un autre titre de Bowie, je ne lui pardonnais tout de même pas. C'était Fame qui jouait à la radio! Je n'ai rien dit. J'ai étudié la marche du mort qui se jouait devant nous.
"Je vas aimer ça en avant!" a dit G.Pawdépowl, répondant à une question que personne n'avait posée. On ne l'a pas cru personne. Plus il disait des choses comme "Y a rien là!" alors que nous ne lui disions rien, plus on entendait le contraire. Son visage rougi trahissait l'orgueil meurtri.
"Me, Myself & I, oh Me Myself & I" chantait Judas derrière.
TABARNAK! la chanson s'appelle Keep Yourself Alive! faisait-il exprès?
Enfin, si il chantait les vraies paroles, peut-être qu'effectivement, il aurait un peu trop collé à la réalité du moment lui aussi...
G.Pawdépowl faisait un peu pitié, trimbalant ce qui lui restait d'orgueil, en faisait de lourds efforts pour tenter de ne pas se montrer atteint de quelconque manière par ce qui lui semblait la pire des démotions. En faisant de peu convaincants signe de "devil" des doigts, en passant près de nous.
Quand un chauffeur est revenu un peu plus tôt que les autres, on lui a fait part de la chose, et à trois, on peinait beaucoup à se contenir dans nos fous rires et notre commune excitation. IL NE SERAIT PLUS DANS NOS PATTES! ON AURAIT LA PAIX! IL ÉTAIT DÉTRÔNÉ DE CE RÔLE AUTOPROCLAMÉJAMAISMÉRITÉ!
"In my heart! ooooh In My heart!" AAAAAAAAAAAARGH de nous deux C'EST LUI L'ANGLOPHONE! comment fait Judas?
J'ai dû aviser le chauffeur revenu de sa journée et Judas de changer de tempérament, on avait l'air beaucoup trop heureux depuis qu'il déménageait ses pénates. Je vous épargne ce que chantait en italien Judas sur Bohemian Rapsody, il était en feu. Ça restait tout de même inconfortable de trouver tant de source de plaisir dans le désarroi d'un autre.
Nous étions nettement différents des autres jours. D'une subtilité assez nulle. Même si G.Pawdépowl n'a rien semblé voir. Aveuglé par la noirceur de sa propre âme.
Notre entrepôt nous était enfin remis. Fini l'impression d'avoir Dwight K. Schrute* constamment dans le rétroviseur.
La dernière chanson de la journée, tout le monde la connaissait.
On s'est mis 5 à la danser.
On l'a tous chantée quand il avait quitté le bureau.
On rendra enfin à César ce qui appartient à César.
*à la lumière du lien offert, c'est fou ce que Dwight K.Schrute a des traits psychologiques de G.Pawdépowl! La réaction à 3:09 est permanente chez nous, avec lui! Orgueil! tu te tues toi-même!
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