Vous savez pourquoi il n'y a pas eu de film de fiction sur le vie de Muhammed Ali? Parce que le vrai Muhammed a 1000 fois plus de charisme que n'importe quel comédien l'interprétant.
En fait oui, il y en a eu au moins un.
Will Smith l'a incarné à grande échelle, sous la direction de Michael Mann, dans un film couvrant une période de la vie du grand Cassius Clay. Ironiquement, la même période est couverte dans le fantastique documentaire de Leon Gast, David Sonenberg & Taylor Hackford, When We Were Kings.
Et le "charme" de Will Smith rivalise à peine avec celui du grand Muhammed.
Dans le film All The President's Men, film retraçant brillamment comment deux jeunes journalistes du Washinton Post ont fait tomber le Président des États-Unis, Richard Nixon en 1974, il y a Jason Robards qui incarne celui qui allait donner le feu vert à ses deux jeunes journalistes qui avaient un sujet brûlant entre les mains. Le personnage qu'il incarnait était Ben Bradlee, le rédacteur en chef du Washinton Post à cette époque.
Bradlee était un homme qui avait tant de personnalité que William Goldman, le scénariste attitré à adapter cette histoire vraie, avait canalisé une bonne partie de l'humour du film (qui en compte au final assez peu) dans le personnage de Bradlee en inventant pratiquement rien. Toutefois, à la lecture du script, on trouvait que le personnage de Bradlee était si vif d'esprit que l'on craignait que le public ne croit pas à celui-ci. Et pourtant, Bradlee était plus grand que nature. Beaucoup plus animé que la moyenne. Plus animal aussi. Son aura planait sur tout le journal. Aidé de Katharine Graham, propriétaire du journal, qui a risqué la survie de ce journal avec les révélations sur les tricheries du Président Nixon, Bradlee a élevé un petit journal au statut de celui du New York Times.
Journal qui ira le recruter plus tard dans sa vie, d'ailleurs.
Quand un jeune journaliste avait fait un article sur un haut responsable arabe, le journaliste n'avait pu s'empêcher de souligner que cet arabe était fort sur l'alcool. Bradlee, dont l'arabe était un ami, ne l'a pas trouvé drôle et a convoqué ce journaliste à son bureau pour lui demander : "What's that shit about the booze?". Le jeune homme s'est justifié du mieux qu'il pouvait, mais Bradlee, les deux pieds très haut sur le bureau, pratiquement dans le visage de ce journaliste, comme si il voulait écraser un insecte, l'écoutait en laissant la fumée lui sortir par les oreilles. Le journaliste a conclu en disant à Bradlee: " Ne t'inquiète pas, tout ira bien". Bardlee est alors sorti de son mutisme pour lui dire avec rage:
"M'inquiéter? Moi? JE SUIS UN HOMME DANGEREUX! Now get the fuck outta here!"
Laissant le journaliste se poser la question pendant deux trois jours : "voulait-il dire qu'il me renvoyait de son bureau ou qu'il me renvoyait tout court?" (ce fût finalement la première option).
Dans une autre situation, un de ses journalistes avaient reçu une injonction puisque son père était soudainement sous enquête pour une histoire de fraude fiscale. En un seul coup de téléphone, où Bradlee a eu directement la ligne avec le #1 de cette enquête, un big shot, il lui a dit : "If you don't get rid of that case anytime soon, I'll shove that subpeona up your ass so high, It'll change the color of your eyes!", Réglant du même coup le dossier de son journaliste et celui de son père.
Dictant régulièrement des idées, des pensées, des sujets de recherche, des commentaires sur l'actualité dans un dictaphone, il demandait à une assistante de taper tout ça à la machine à écrire. Celle-ci à dû venir lui demander si "Dickhead" s'écrivait en un seul ou en deux mots.
Bradlee était imposant de taille, mais d'esprit aussi. Et abusait verbalement du vocabulaire vulgaire de l'homme de la rue. "piece of shit" "son of a bitch", "shithead" étaient des termes couramment utilisés pour parler des gens et détailler rapidement l'idée de Bradlee sur une personne.
En 1981, le Washinton Post s'est retrouvé dans le pire pétrin journalistique possible. Janet Cooke, une journaliste de Ben Bradlee, a raflé le prestigieux prix Pultizer pour un article racontant le quotidien d'un garçon de 8 ans, accro à l'héroïne. Toutefois Bradlee a vécu l'humiliation de devoir remettre le prix au jury après qu'on eût découvert que Cooke, avait tout inventé.
La plupart des rédacteurs en chef auraient vu leur carrière se terminer sur cette grave note, mais même l'infamie n'atteignait pas Bradlee. Il était trop big, Avait trop de gueule.
Quand le très aimé journaliste du Post, Laurence Stern est soudainement mort en faisant son jogging à tout juste 50 ans, en 1979, Bradlee a pris la parole à un rassemblement suivant son enterrement, Il avait un verre à la main et après un très émotif hommage, à la couleur du personnage, il a lancé son verre contre le mur, le fracassant et éparpillant son contenu tout partout.
Tout les gens qui ont suivi au micro, ont choisi de faire de même. Après quelques mots sur le défunt, ils ont tous cassé leur verre plein contre le même mur. Même ceux qui ne se rendaient pas au micro.
C'est dire l'influence de Bradlee.
Le 21 octobre dernier à l'âge de 93 ans est décédé de causes naturelles, Ben Bradlee.
Causes naturelles...pour un homme presque surnaturel.
Trop extraordinaire pour qu'on le dépeigne à sa juste valeur au cinéma.
Dans l'univers du journalisme, Ben Bradlee était un géant.
Alors que les faux superhéros inondent les cinémas, les vrais meurent.
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