"It seems like everybody's got a price, I wonder how they sleep at night"
-Simmons Jr, Corsnish, Gottwald, Kelly
Bianca est Colombienne. Elle est arrivée au Québec au début des années 90. C'est à ce moment qu'elle a rencontré cet animateur radio qui l'a marié presqu'aussitôt. Elle l'aimait bien, il la faisait rire, elle était confortable avec lui. Il gagnait bien sa vie et rapidement sa carrière publique à lui, la faisait aussi rêver, elle.
Excellente danseuse de samba et autres danses latines, il lui avait fait miroiter des occasions en brassant ses contacts. Elle avait bien réussi à danser une fois à la télévision au sein d'une troupe dans une émission de Radio-Canada où des personnalités connues venaient faire leur tour de piste avec une vraie danseuse professionnelle; mais l'expérience avait été de courte durée pour des raisons légales, la troupe étant tissée serrée, le budget de l'émission aussi, il avait fallu couper dès le second épisode et Bianca, trop nouvelle, avait été sacrifiée avec trois autres filles et deux garçons.
Depuis, elle avait bien fait de la figuration dans quelques publicités, elle chantait même dans une pub à la radio les mots "des dégâts d'eau" sur un air populaire depuis quelques mois, mais pour tout dire, elle gagnait bien peu d'argent. Son chum aussi d'ailleurs.
Celui-ci avait vu sa carrière pâlir dès le milieu des années 90, quand les animateurs de radio devaient soudainement aussi (surtout) être de belles têtes connues du public, peu importe la qualité de leurs voix ou de leurs interventions. Il avait été poliment tassé, peu à peu placé sur les lignes de côtés et c'est en publicité radio exclusivement qu'il gagnait maintenant sa vie. Grâce à un l'ami d'un ami d'un ami., il faisait la voix de pratiquement toute les annonces d'une compagnie de voiture de la Rive-Sud de Montréal. Des publicités atrocement simples où on lisait sur un ton monocorde des textes, comme tirés des années 50 où on se contente de vanter le produit et de parler de l'offre. Des publicités qui détonnaient tellement sur les ondes des radio FM par leur manque de rythme, d'humour et de créativité qu'on finissait par les remarquer plus que certaines autres. Et ça, ça suffisait pour ceux qui l'engageait. mais on pensait peut-être déjà le remplacer car de nouvelles versions, sans lui, et une ÉPOUVANTABLE pub-télé faisaient maintenant leur chemin dans les médias.
Bianca l'aimait toujours mais elle ne pouvait s'empêcher d'aussi le trouver incompétent. Lui qui lui avait fait miroiter de multiples chances de travailler dans le milieu artistique Québécois (il avait fait une peu de télé aussi), peinait maintenant à se trouver du boulot pour lui-même, alors elle...
Elle le trouvait incapable et se sentait elle, si capable...si capable de mieux.
Ce samedi-là, c'est elle qui s'était déniché du boulot. Elle le cacherait à son chum. Elle danserait dans un bar de Montréal dans le cadre d'une fête annoncée pour célébrer le Mundial de Soccer du Brésil. Elle porterait quelques costumes du Carnaval de Rio, des costumes qui dévoilent, plus qu'il ne cache. Elle serait avec deux autres danseuses, dont son amie Carla, qui lui avait refilé le contact. Toutefois, l'expérience serait pénible.
Seule danseuse, Carla déclarant forfait puisque tombée malade et l'autre ayant eu les jetons et ayant refusé de porté ce costume de presque nudité, Bianca allait se trémousser toute seule dans un bar hostile.
Hostile, parce que la soirée annonçait (à la radio aussi) des dancerS, avec un "S" et qu'elle était seule. Tendue parce que les deux groupes qui avaient animé musicalement la soirée, Crossfire Hurricane & The Toothless Bearded Hags, avaient principalement joué du rock alors que plusieurs s'attendaient à du brésilien. Agressive finalement puisque l'équipe de soccer favorite ce soir-là n'amenait pas les résultats souhaités.
"She's old & ugly" avait-elle entendue dans la mêlée. Mais elle ne s'était pas laissée démonter. Elle souriait et excitait les sens tel que sa mission l'exigeait. Elle se demandait bien ce que son chum aurait pensé de la voir ainsi déshabillée. Son père? qu'aurait pensé son père? "Que fais-tu au Canada ma fille?" "Je danse pour mon pays, papi" "Ah! c'est bien ça...tu n'as pas oublié la Colombie! Y a pas juste Shakira!
Oui justement.
Elle met la barre trop haute pour nous, colombiennes.
Shakira est si belle, si tout, qu'elle éclipse toutes les autres.
Bianca ne dansait même pas pour son pays.
Elle dansait pour le Brésil.
Qui noterait la différence dans cette foule de barbares?
Bianca sentait bien qu'on ne lui regardait pas les yeux, qu'on la regardait avec appétit toute habillée de peau. Elle sentait aussi cette tension étouffante, qu'à trois, aurait peut-être été dilué sur trois corps féminin, peut-être sur Carla, que Bianca jugeait plus belle qu'elle et qui aurait généré toute l'attention. Mais il semblait à Bianca que les ondes négatives de la soirée se concentraient dans les yeux noircis de tous les mâles sur place et que peu à peu, une colère sourde et toxique leur glissait du ventre au membre sexuel et qu'il aurait fallu bien peu pour que l'un d'eux ne lui empoigne une partie du corps ainsi exposé pour le brancher à sa membrane. La tension était palpable.L'attention aussi, sur sa petite personne.
Plus la soirée avançait et plus elle se sentait étouffer. Jamais ne s'était-elle senti aussi nue dans une marmite de testostérone. Les hommes venait lui parler de plus en plus près, lui "accrochait" des cuisses, la taille ("scuze-moi, je fais juste passer"), une fesse, un sein...Elle devait sourire, tout ce temps, être la viande autour des chacals. Un buffet qu'on ne consommerait pas.
L'organisateur de la soirée avait choisi de donner trois fois l'argent qu'elle aurait eu ce soir-là, soit le salaire des deux autres qui ne s'étaient pas pointées + le sien, "à condition qu'elle mette le paquet pour exciter la clientèle et la faire boire". À un certain moment, elle cru qu'elle serait forcée d'en embrasser un ou deux ou pire encore,, aller derrière le bar travailler à genoux tellement les hommes entraient dans sa bulle. Plusieurs hommes avaient pousser la vulgarité jusqu'à lui proposer d'aller "en arrière pour parler" ce qu'elle avait chaque fois sagement décliné, avec le sourire.
Elle avait dansé dans la foule du bar, sur des airs moins latins qu'érotiques. En tout cas dans les yeux des hommes qui la regardaient, et qui n'avaient même pas besoin de la déshabiller pour s'exciter mentalement, c'était déjà fait.
"I want her on my Willy" avait-elle entendue avec effroi.
"I want my money back!" avait-elle aussi entendu ailleurs d'un ton rageur.
Elle ne s'était jamais démontée. Avait gardé le sourire à danser. Déshabillée.
Elle avait été bien, très bien payée.
Elle ne voudrait toutefois jamais plus un contrat de la sorte.
Une fois à la maison, saine et sauve, elle s'était mise à trembler et avait pleuré.
Son chum l'avait serré très fort, l'avait écoutée, avait appris son tourment et sa soirée en général.
Il l'avait serré très très fort dans ses bras pour la rassurer.
En lui promettant de ne jamais plus la laisser accepter une telle offre, mais qu'il fallait le mettre au courant la prochaine fois, pas seulement dire "je sors avec Carla ce soir".
Là, seulement là, elle l'avait enfin trouvé compétent.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire