Robert Lepage est au volant d'une solide locomotive culturelle depuis les années 80. Il brille facilement. Pas juste ici, partout dans le monde. Il a scoré comme on dit. C'est un nom d'importance dans le théâtre mondial, dans le cinéma et dans la mise-en-scène en général.
Mais depuis quelques mois, c'est lui qu'on a mis en scène. Une scène agitée.
Le spectacle SLAV mettait en vedette Betty Bonifassi, retravaillant un hommage aux chants d'esclaves noirs, hommage qu'elle honore depuis quelques 20 ans déjà. Autrement et ailleurs. Le Festival de Jazz a choisi d'annuler le spectacle après quelques représentations tumultueuses, afin de taire ce qu'on trouvait être trop de bruit.
Mais ce n'était pas un bruit gratuit. Un spectacle rendant hommage aux esclaves noirs sans noirs, c'est aussi absurde qu'un spectacle rendant hommage aux Québécois, sans Québécois. Ça se fait. Mais ça frisera toujours l'iconoclasme. La problème avait été soulevé à l'interne, dans les mois qui ont précédé la production, et on avait, au final, rajouté deux choristes noires.
Rajouté.
Il était là le problème. De ne pas y avoir pensé avant, naturellement, laisse une drôle de sensation dans la bouche.
Ce problème de régie interne a gonflé publiquement et le malaise est devenu si grand, l'hostilité si intense qu'on a plié bagages.
On a tant souhaité que le peuple se lève depuis toujours, il l'a fait. Ça a fait réfléchir. Jaser. Et c'est ce qu'il fallait faire. C'est le devoir du théâtre selon moi. Des arts. Faire réfléchir. Jaser.
Lepage avait un autre spectacle dans sa besace. En collaboration avec la France, celui-là. Anna Mnouchkine et le Théâtre du Soleil. Kanata. Une vision du Canada en trois temps, dont un des segments raconte la visite au Canada du comédien britannique Edmund Kean, en 1826, et sa rencontre avec de jeunes Hurons.
En 1992, alors qu'il était directeur artistique du théâtre français du Centre National des Arts, Robert Lepage avait monté et présenté Alanienouidet, racontant ce même segment (retravaillé depuis). Ce segment avait alors été supervisé et conseillé par Yves Siou Durand, un autochtone, qui avait aussi tenu un rôle, dont le reste de la distribution était blanche.
Mais en 1992, on s'inquiétait de la bizoune de Bill Clinton.
On regardait ailleurs. Du théâtre, ça restait du théâtre. Pour initiés.
Les autochtones savent une chose ou deux sur les initiations. La pièce Kanata doit se monter en France, avec 34 acteurs français, sous une direction, celle de Mnouchkine, française. Lepage y est associé avec sa compagnie Ex-Machina. Les autochtones d'ici se sont inquiétés du regard colonisateur français puisqu'aucun acteur autochtone n'y était impliqué. Lepage les as rencontré et on a eu une conversation de 5 heures constructives sur le sujet, semble-t-il.
Mais là aussi, on a annulé. Jeudi. On veut toujours produire, mais l'argent (nerfs de la guerre) est facilement nerveux et il a fui la production.
Le cas de SLAV est fort différent de celui de Kanata. Le premier réclamait ce qu'il a finalement eu. Une annulation complète pour ensuite faire mieux. Autrement, ailleurs. les autochtones ne réclamaient pas la fin de Kanata. Ils voulaient savoir pourquoi? Pourquoi ne jamais avoir pensé aux 33 acteurs autochtones (sinon plus) disponibles ici? Pourquoi les autochtones n'étaient pas impliqués du tout dans le projet cette fois? Robert leur a probablement dit qu'il ne tenait pas le volant tant que ça, que la France avait le projet en main, et qu'il fallait faire avec leur troupe, troupe du Soleil, mais sans autochtones.
Ça a fait du bruit. Comme un accident de voiture. Et l'argent a fui. On a annulé.
Lepage en est en partie responsable. Quand le Conseil des Arts refuse de subventionner la production, un an avant son développement, justement parce que la présence autochtone y est absente, il y a là un drapeau auquel il aurait fallu porter attention.
Ce qui n'a pas été proprement fait. Pas assez en tout cas.
Les deux causes avaient des récriminations légitimes. Les deux shows avaient aussi des failles avant même la production sur scène. Méritaient-ils la fermeture?
Dans le cas de SLAV, la sécurité et la sérénité des représentations étaient menacées. Peut-être que oui. Mais personnellement, témérairement je le concède, j'aurais bravé.
Dans le cas de Kanata, ce n'est pas 100% terminé. On tend toujours la main. Mais ce sera dur de faire, comme les rails le souhaitent en ce moment. Anna Mnouchkine ne sait même pas c'est quoi de l'intimidation, ça vous donne une idée du spectacle qu'elle compte offrir. Elle en a la conception de Safia Nolin.
Lepage est uni aux deux projets et ce qui s'est produit est comme un accident. Avec blessés léger, mais soignable.
Faudra juste mieux étudier la route quand on reprendra le volant.
On fera mieux.
Autrement,
Ailleurs.
Et c'est pas triste ni dramatique.
Ceux qui s'inquiètent des MacBeth qui devront être joués pas des Écossais ou des choeurs Grecs qui devront être Grecs ont besoin d'une petite dose de maturité émotive.
On se relève d'un accident. Lepage survivra. Meilleur conducteur.
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