Tom Waits a toujours été plus qu'un musicien. C'est un personnage. Grogneur génie musical, Brosseur de chic gouttières, chien de ruelle. Oiseau de nuit. Francis Ford Coppola, dans les années 80, lui prendra sa voix qu'il voudra non publicisée (mais finalement, on sait) car il est, comme moi, parfaitement anti publicité forcée. C'est un mythe en trench-coat.
Les enfants, plus jeunes, quand je le faisais jouer, l'appelait assez justement "le monstre".
Raconteur à la voix graveleuse, il semble effectivement moins humain parfois que "quelque chose" arraché à un rêve de Jack Kerouac ou à un partenaire de brosse de Charles Bukowski. Le piano aura bu, pas lui. Il se montrerait plutôt humaniste, cyniquement humaniste (car il n'y aucun autre angle pour attaquer ce génocide impuni) en chantant sa route de la paix dans le conflit Israélo-Palestinien, trouvant que les tueries s'intensifient, sur la route de la paix... Sur plus de 50 ans, Tom a travaillé une carrière 100% anti commerciale. Et pourtant, ses fans lui ont faire faire beaucoup d'argent. Deux fois, il a gagné des Grammys, dans les années 90 et 2000. Mais c'était oublier son brio entre 1973 et 2011. Effrontémment excentrique, absolument magnétique, il ne fait pas que composer de la musique, il conjure des mondes entre eux. Le blues et le jazz. Le crooner et le folk. Le pop et l'industriel. Le rock et l'avant-gardiste.Ombre de la côte Ouest de la Californie, à Pomona, il soupait déjà vers 3 heures du matin. C'était avant le travail dans les pizzerias de New York 24H, qui le forçaient à manger des heures indues. Les vagabonds, les nomades, les traineux de fonds de ruelles, les saints qui donnaient à n'importe qui des gros billets de 20$, il les connaissaient tous à ses débuts New Yorkais. Parce que la Californie était trop lumière. NY était nuit. Fumée, bourbon, jungle nocturne, effeuilleuses chaleureuses, poètes beat. Ses 4 premiers albums reflètent cet univers de romantique mélancolie. À la recherche d'un flirt perdu dans un nuage de fumée ou au travers d'une vitre mouillée de taxi, du banc arrière du passager.
C'est la lumineuse rencontre de sa brillante Jersey Girl, par l'entremise accessoire de son ami Copolla, que sa vie change. Son coeur et son son. Ses percussions deviennent parfois ferrailles et produits de dépotoirs. Des bruits parfois brisés qui feront naître dans une futur proche le noise music d'un Sonic Youth. Il peut faire un hymne avec un enjoliveur en percussion. Il grogne au travers des mégaphones. Sa voix, comparée parfois à un bulldozer ayant roulé sur un violon. Collaborateur avec des musiciens d'avant-garde, il collabore aussi avec les britanniques amoureux de l'étatsunien blues. Avec un de ses albums, un de mes préférés à vie, il offre un opéra chaos symphonique carnavalesque théatrâl grotesque mais parfaitement génial pour mes oreilles d'ados. J'ai rétropédalé ensuite le découvrant plus Dylanesque au début, puis cabaret, puis formidable. C'est une voix de marginal. D'ivrogne. De vagabond. De rêveur. Il chante les gens brisés. Les pavés fendus. Les trottoirs cachant peut-être un cadavre. Les amours perdus et trouvés dans les stationnements ce qui fait écho à l'univers de Michel Tremblay au début de Des Nouvelles d'Édouard, un de mes livres préférés, à vie.Tom est une trouvaille sacrée au coeur du profane. Ses personnages, la prostituée détrempée, passée sous la pluie, le (toujours) lunatique prédicateur religieux, Ricky Lee, carnavalesques crieurs de rue, Accordéoniste borgne, tous des gens rendus sympathiques par ses narrations et ses beats, son empathie et son esprit vif et allumé. Jamais caricaturé. Personnages usés par la vie. Toujours humains.
Il a déjà dit qu'il adorait les splendides mélodies racontant des horreurs. Fan de murder ballads.
Sa tête de noir mystère a été utilisée dans des les films de Françis Ford Coppola, des frères Coen, de Jim Jarmush. Hanté, drôle et dangereux, toutes les fois. Même si il est ancré dans la plus terre-à-terre des sincérités. Charme et fracas, clameur d'un coeur qui se rythme au tempo de la compassion et du recul. Dans plusieurs de ses chansons, sur plusieurs époques, il nous rappelle que la saleté peut être gracieuse. La blessure, guérissable. L'horreur, colorée et non dommageable. Sa musique contient une belle tristesse mélodique et lyrique. Art équilibré entre poésie et pandémonium, coeur brisé et hilarité.Sa musique ne se fond pas avec le décor, il l'encadre. Demande parfois l'attention comme un homme ne voulant pas grandir. Il grogne comme un chien et murmure comme une chauve-souris de gouttière rouillée. Une ballade peut faire entendre des bruits de chaines de vélos qui trainent au sol.
Dans une industrie qui valorise et tente de présenter comme modèle des jeunesses qui ne vieillissent pas, Tom Waits a fait de sa carrière vieillir à sa manière. Ce qui veut parfois dire, sans grâce et sonnant comme le dernier gars assis sur son tabouret rembourré au bar du quartier.
Il n'a certes pas l'intelligence d'un nain mental ayant le quotient intellectuel d'un filet de tennis.
J'aurais beaucoup aimé le voir en spectacle, un de mes grands rêves. Un ami me disait l'autre tantôt qu'il l'avait vu en spectacle, aux États-Unis, il y a quelques 15-20 ans. Et que dans un silence, entre deux chansons, une femme dans la foule a crié "I LOVE YOU TOM!".
Ce à quoi il a répondu du tac au tac:"Mom, I told you to wait in the car..."
J'aimais Tom Waits, je l'aime encore plus. Vif, allumé.
L'an prochain je me promets un blogue parrallèle de 6 mois de dimanche sur Led Zeppelin et 6 autres sur Pink Floyd.
2026, je réserve 12 mois de dimanche à Dylan.
2027, probable 12 mois de dimanche de Tom Waits.
Ouais, pas mal certain.
Il est trop important pour moi.
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