vendredi 24 janvier 2020

Les Voix Devront Porter

Si Harvey Weinstein, prédateur sexuel majeur de notre époque, avait une once de conscience, il s'excuserait sincèrement et individuellement auprès de toutes les femmes qu'il a abusé, qui l'ont accusé honnêtement et avec courage, et il utiliserait ce qu'il a comme fortune pour réparer ce qui est possible de réparer dans les pots cassés laissés derrière.

Les pots étant des vies brisées.

Il y a deux ans, Harvey était désolé. Très désolé.  Il disait être né d'une autre époque, qu'il en avait probablement gardé les mauvais tics. Il signait une lettre aux 80 femmes qui l'accusaient d'inconduites sexuelles. Il réalisait qu'il se devait d'être une meilleure personne. Il citait Jay-Z en disant qu'il n'était pas l'homme qu'il pensait être, et qu'il était mieux de devenir cet homme, ne serais-ce que pour ses enfants. Il ne pouvait pas ressentir plus de remords vis-à-vis celles qu'il avaient blessé, disait-il. Il terminait en disant qu'il comptait honorer chacune d'elles.

C'était aussi, un autre âge...

Sur les 80 femmes l'ayant accusé, on a gardé 2 d'entre elles, pour le traîner en cour.

2!
Sciorra, Mann, Haleyi

L'actrice Jessica Mann et l'ancienne assistante de production Mimi Haleyi.
Vous ne trouverez aucune images de Jessica Mann qui, bien qu'actrice, a fait faire un vrai travail d'intimité réelle dans cette cause très publique.

On fera parader plusieurs autres victimes, des témoins aussi, des rescapées, qui se sont suffisamment défendues pour le garder à distance mais qui en ont payé souvent le prix de leur carrière. On a déjà commencé avec l'actrice Annabella Sciorra hier.
Weinstein a fait des arrangements avec une trentaine des 80 accusatrices. Négociateur depuis toujours, chaque entente avait comme garantie de n'avoir jamais à avouer quoi que ce soit à leur égard et ne jamais dépenser un sou sur le sujet.

Ce n'est pas gênant pour les Femmes d'avoir accepté des arrangements. Ça ne devrait pas l'être. Il serait déplacé de les juger. On ne connait pas leurs situations et on sait que le cinéma est très cruel pour mesdames. C'était surement, pour la plupart des arrangements, la meilleure chose à faire. Mais ça dit aussi que les mots, comme les excuses d'il y a 2 ans, ne valent vraiment pas grand chose.
Weinstein avait présenté une campagne de réhabilitation complète et publique, où les excuses seraient de mise et où les responsabilités seraient prises. Mais le temps de suivre ses propres mots, il n'aura fallu que piger dans sa fortune pour avoir à ne jamais vraiment exposer publiquement des remords envers une très grosse part des accusatrices. Pas même reconnaître quoi que ce soit!

En quelque part, ça reste dommage. Ses deals impliquent qu'il n'ait pas à avouer quelque tort que ce soit.

Ça démontre aussi comment le système de loi, aux États-Unis comme ailleurs, en ce qui concerne les agressions sexuelles, peut facilement être malléable. Harceler, agresser, c'est souvent fait en privé. Ça reste difficile de trouver ensuite les témoins. On sent les causes perdues d'avance. On sent qu'on ne sera pas cru. C'est déjà horrifiant de tout revivre, de trouver le courage de tout redéballer, si en plus on ne vous croit tout simplement pas, il est facile de comprendre l'envie de prendre un arrangement financier qui fermera en partie le dossier.

Aux États-Unis, dans le processus de la destitution présidentielle où on ne se cache même pas pour parler de l'absolu absolution avant même qu'on y soit, la loi en général ne semple plus un remède complètement curable. Doit-on aussi croire que justice ne sera que vent du sud dans les dossiers Weinstein?

Ce serait une transformation radicale et hautement improbable de voir Weinstein continuer sur la voie des remords comme il y a deux ans, et ce serait assurément contre l'avis de ses avocats. Mais ce serait encore la BONNE chose à faire.

Mais non, on jouera aux échecs. Et on tentera de fragiliser chaque témoignage comme on a fait avec Annabella Sciorra, hier.

"Que faisais-tu en robe de chambre quand il a cogné à ta porte?"
"Tu étais sous analgésique? en boisson? tu ne peux pas bien te rappeler"
"L'heure et la date sont imprécises"
"Tu voulais monter dans l'échelle sociale et ça n'a pas complètement marché"

Ce sera vicieux. Ce sera encore du viol.
2 sur 80...

Le très bon clip, du groupe Til Tuesday, avec la formidable Aimée Mann au chant, et leur formidable chanson Voices Carry, de 1985, était bouleversant. Un clip racontant une femme coincée dans une relation abusive. À partir de 2:50 dans le clip, on assiste à quelque chose de fabuleux.

Ce l'était alors, ça doit le rester.

La femme abusée se lève, hurlant sa situation, prenant à témoin un paquet d'inconnus dans une salle d'opéra. Des gens ne s'attendant pas à une telle sortie vocale. Son abuseur en est si honteux qu'il ira se cacher sous son banc. La scène est aussi bouleversante que parfaite. La réécoutant 35 plus tard, elle reste toujours bouleversante.

Il faut parfois sortir de l'intime tordu pour redresser sa dignité.

Les voix devront porter pour vrai.

Mais j'ai comme l'impression que le vieux porc va encore s'en tirer.
Comme trop y arrivent.

Je veux me tromper.
Je veux vraiment me tromper.


Aucun commentaire: