lundi 28 février 2011

Fabi

1994.

Deux adulescents, une adulescente. Tous trois co-locs.

On se trainait du Centre-Ville, à deux minutes de marche pour retourner, lourdement intoxiqués à notre apart de la rue Logan. Monsieur Lang était passé la veille avec ses cigarettes de contrebande, je lui devais 125$ d'arriérés, mon co-loc un petit peu plus, ma co-locs plus encore. Le pauvre asiatique n'avait aucune marge de manoeuvre, il ne pouvait pas mettre de pression pour que l'on paie nos dettes car on le menacait de le dénoncer. Il avait le mauvais réflexe de nous mettre la cartoon tout de suite dans les mains et déjà, il était trop tard, argent pas argent, on gardait.

Il n'avait visiblement pas d'entourage pour faire une job de bras et d'intimidation sur nous trois. On s'en tirerait tous sans payer avant de déménager l'année suivante.

De 16h à 19h00? On connaissait peu. C'était les heures de dodo.
La journée commençait tard en avant-midi. Université, retour à l'apart, ne serais-ce que pour jaunir les murs de fumée de toxicomane, errance sur Vidéoway, sieste volontaire ou non. Vers 20h souper minimaliste et sans vitamines, on part ensuite squatter les bars des environs et se nourrir d'alcool.

Le reste est vague ou nous était raconté par d'autres en notre compagnie lors des journées suivantes.

Le retour toutefois restait toujours clair. La petite marche dans le Montréal de nuit, partenaire de nos débordements, était toujours agréable. Ça dégrisait, on y faisait souvent des rencontres étranges.
Le temps de monter les marches qui nous menaient au 1588, on étirait rarement le moment de la tombée du corps sur nos matelas posés à même le sol. Encore moins quand nous avions ramené un/une partenaire de drap.
Couchés mais bien souvent, tellement saôuls qu'il était impossible de fermer l'oeil tout de suite. Il fallait bien occuper nos nuits.

Les Vagabonds Célestes.

À ce moment nous tendions la main vers le petit radio poche de notre enfance qui trainait à portée du lit. On ouvrait sur...Étais-ce CKAC?... sur cette voix. La voix qu'aurait Dieu si nous avions cru en lui, jaillissait du petit appareil Sanyo.

Outre Jacques Doucet, Jacques Fabi doit avoir la voix la plus feutrée, la plus agréable, la plus réconfortante qui soit. Une doudou par froide nuit d'hiver où on ne met pas le chauffage pour économiser sur le compte d'Hydro. C'est surement pour ça qu'on le plaçait la nuit. Sa voix nous rassurait, nous rassure toujours, nous borde dans les actualités du jour passé, nous informe dans les actualités du jour qui se pointe la tête à l'heure où on couche la nôtre. Nous commente tout et rien à la fois. Du blogue avant l'heure.

La publicité de nuit est pratiquement presque totalement absente des ondes. Peu de gens écoutent la radio la nuit entre minuit et 4 heures du matin. Peu de commanditaires veulent payer le temps d'antenne de cette heure ingrate. Ceci rendait l'écoute d'autant plus agréable.
Fabi était (faussement)seul, chevalier de la nuit dans un road-movie où il n'y avait que lui sur la route. Et nous comme des étoiles diffuses dans son ciel.
Mais parler (faussement)dans le vide peut rendre fou, il avait des visiteurs quelques fois. Il ouvrait la ligne téléphonique vers 1h et les bebittes de la nuit l'appellaient uns à uns. Un oiseau de nuit attire forcément toutes sorte de moineaux. Ils appelaient en masse.
Pour jaser, pour frotter leurs solitudes sur la sienne. Pour participer au quiz de M.Brisson. Un érudit qui travaillait spécifiquement (bénévolement?) des questions pour deux concurrents qui appellaient en ondes pour se défier.
"Qui était le secrétaire d'état de Richard Nixon en 1973?"
La question semble facile mais le "en 1973" sème le doute.
"Hmmm...mwé la politique...John Kennedy?"
"Ha! Noooooon madame Charpentier, Kennedy était son opposant, dans le parti Démocrate et en 1973, il était mort et entérré, une chance à Monsieur Lussier..."

"En combien de matchs les Canadiens ont-ils gagné leur dernière coupe Stanley?"
"1993?"
"En combien de matchs Madame Paquet, je vous donne encore une chance"
"S'cuzez j'ai bu mon 'ti scotch, ça m'a brouillé les idées pis mwé le hockey..."

Et cette clientèle nocturne toujours allumée me fascinait. Il y avait ses comiques qui se donnaient des défis comme de placer 5 mots dans une conversation avec Fabi. Étonnament avec bon goût pour la nuit qui, trop souvent, faisait aussi sortir le déséquilibrés. Fabi légèrement soupe au lait, pétait souyent les plombs. Ceci ajoutait à son charme. Certains faisaient exprès de simplement le faire sortir de ses gonds. Autant pour lui que pour celui qui avait placé la bombe en ondes, que pour celui qui l'écoutait couché dans son lit, le moment était juste assez épicé pour nous faire sourire.

La nuit était à Fabi. C'était un ami des hiboux comme nous. Il patrouillait le territoire depuis 1977 quand en 2009 on a tiré sur la plogue.

Il ne chôme pas longtemps. Radio Boomer lui donne un micro de 6 à 9 le matin 5 mois après sa dernière émission de nuit.

En septembre 2010, il retourne la nuit sur les ondes de CJMS de 23 heures à 2h. Toutefois il quitte assez rapidement en froid avec la direction de CJMS.

Bougon le Fabi.

Depuis ce matin, Fabi a repris le micro de 4 à 5h30 le matin sur les ondes du 98,5 FM à Montréal.

La direction de Cogéco se donne quelques semaines afin d'évaluer si elle étirera son émission toute la nuit.

Les vampires se réservent le droit de jubiler secrètement entre chien et loup.
Seuls parmi vous.
Et avec Fabi la nuit.

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