dimanche 14 mai 2023

J'Existes

Je ne vais jamais chez "Tim".

Enfin seulement sous l'extrème contrainte. 

"Tim" c'est la franchise Tim Horton. On y vend du café, des beignes et plus tard on a introduit des sandwichs et des soupes. Tim Horton a détrôné Dunkin Donuts en province et au pays qui oeuvrait avec les mêmes offres et pas mal le même marché. Duquel je n'ai jamais fait partie. Je ne suis pas un gros consommateur de beignes et suis intolérant au café, ça m'éliminait donc assez vite du client intérressé. Quand les repas sont arrivés, ça faisait déjà trop longtemps que je ne fréquentais pas, je ne suis jamais retourné de plein gré.

De plus, les commerciaux télés de chez Tim m'ont toujours agressé les sens. Et finalement, il semble que ce soit un sacré symbole "Canadien", alors que je me sens 99% Québécois et tout juste 1 % Canadien. Pas pour moi "Tim".  

Mais je m'appelle Hunter Jones. Un nom de famille irlandais et un prénom anglophone. Personne, mais PERSONNE, ne comprend mon prénom du premier coup. Pour les mêmes raisons que chez Tim, je ne vais pas plus chez Starbucks. Sinon pour y piquer le wi-fi en sol étranger. Mais récemment, avec l'amoureuse, on était ensemble à marcher, activité de nos âges, quand sa minuscule vessie, agravée par le passage de deux enfants, lui a rappellé qu'elle devait se rendre assez urgemment aux salles de bains. Afin d'avoir la clé de la salle de bain du Starbucks, elle m'a demandé de lui acheter un latte (qui devrait la relancer aux salles de bains, non?). Il y avait peu de gens, plusieurs semblaient pirater le wi-fi justement, et la barista m'a demandé mon prénom. Je commandais pour ma blonde j'ai donc un peu hésité et n'ai pas voulu dire un nom de fille. Mais je n'ais pas non plus voulu dire Hunter. Personne ne comprend Hunter du premier coup. J'ai donc dit Pierre-Antoine. On a souvent compris "Antoine" de toute manière quand je dis Hunter. Plus souvent encore, on m'a dit, avec l'humour d'une gouttière rouillée: " Hunter ? Tes parents étaient-ils chasseurs?". Phrase à laquelle j'offre toujours mon visage le plus fermé sans répondre. Pourquoi dire cette phrase ? et pourquoi la dire au passé ? Ma mère est encore vivante.      

J'ai utilisé Antoine ou Pierre-Antoine assez souvent pour m'épargner de la salive. Mais là, par flirt où je ne sais trop, la barista m'a demandé d'où je venais. J'ai dit " Du Québec D'Amérique. Né à Victo, grandi, à Sillery, vie d'adulte à Montréal. ". Elle ne demandait pas ma vie, mais hey, on jasait, là. Et on était quand même sur le sentier de la copinerie. 

"Ça a été plaisant de jaser avec toi, P-A, ce sera 3,65$." a-t-elle conclu. P.A...j'étais même devenu intime pour Cathou (Catherine était le nom sur son gilet). J'ai sorti ma carte de crédit, mais là...ça chiait solide.


Le nom sur cette carte était le mien: Hunter Jones. Elle a don légiytimement questionné ma carte "Avion" Visa. "Tu...Tu m'as dit que tu t'appelais Pierre-Antoine...?

"er...c'est...c'est mon nom du milieu, Hunter Pierre-Antoine Jones. OnétoKébekicitte. HPAJ."

"En fait la carte est plus précise encore elle dit Hunter Jay Jones."

"Ouin mes parents ont mal eppelé mon nom sur mon certificat de naissance...écoute, ok, honnêtement, je ne suis pas Pierre-Antoine, je suis Hunter"

"Honnêtement, ce n'est pas un plaisir de jaser avec toi, Hunter Jay Jones"

L'amoureuse est arrivée là-dessus et m'a sauvé. Je lui ai raconté, ce qui lui a rappelé la fois de l'aéroport. 

Zêtes pas le même gars
Sur mon passeport c'est Hunter Jason Jones. Mais dans les rigides lignes aériennes j'ai entré Hunter Jay Jones. J'aurais pu mettre un "J." qui est "Jay" comme prononciation, ça règlerait des tonnes de désajustements. Je leur ai demandé si ils pouvaient changer Jay Jones pour Jason Jones, ils ne peuvent pas. Par dogmastisme obtu. 

"Nos systèmes ne vous reconnaissent pas, c'est comme si vous n'existiez pas."

"O.K...Si vous ne pouvez pas , si je ne peux pas modifier, qui peut le faire ? Les sénateurs ? C'est à ça qu'ils servent, les Sénateurs ? Que fais-t-on maintenant ?"

"Il vous faudrait un certificat de naissance prouvant votre identité"

"La feuille de papier jaunie d'Arthabaska de 1972 tapée à la machine à écrire dont le "E" était sans encre ? Ce serait encore invalidé, j'y suis identifié Hunt r  Jason Jon s.

"Hmmm...ça ne regarde pas bien..." Drame fonctionnaire. Toujours. "Parce que ces 2 noms ne correspondent pas..."

(...)

"O.K....Jay...on peut quand même voir le bond si faible entre Jason, la lettre J...moi..."

Si seulement il savait que l'amoureuse m'appelle Hunty oùlàlà la déroute mentale...

Je le regarde, lui suggère de yeux sévères de ne pas parler, elle comprend que je contrôle mon impatience devant l'idiotie. Si il est déjà confus, on était aux États-Unis, il pouvait aussi bien faire signe aux policiers de me tirer dessus, "Celui-là a 3-4 noms, teint basané, possible Mexicain, tirez!" Si il savait que j'étais aussi autochtone...enfin, j'ai repris, avec patience:

"O.K. si on oublie le nom, et qu'on regarde les photos, quelque chose de quand même utile dans tous ses documents, avec 70% du nom et 100% de la photo, ça fait quand même 170/200%, ce qui est très fort, non ?".

C'était passable.

On avait finalement difficilement passé. Même si la porte ouvrante automatique ne reconnaissait pas mon corps au passage non plus. 

Il a fallu qu'on active les portes à bras. 

C'est si dur de parfois simplement exister. 

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