dimanche 3 avril 2022

Cinema Paradiso***************Ghost World de Terry Zwigoff

Chaque mois, dans ses 10 premiers jours, tout comme je le fais pour la littérature (dans ses 10 derniers) et tout comme je le fais pour la musique (vers le milieu) je vous parle de l'une de mes trois immenses passions: Le cinéma!!!

Je l'ai lourdement consommé, étudié, en fût gradué, y ait travaillé, en fût récompensé, en suis sorti, mais on ne sort pas le cinéma de ma personne, je le consomme encore assez intensément. 


Je vous parle d'un film très souvent issu de ma collection de DVD personnelle, un film que j'ai adoré pour son esthétique, sa réalisation, ses interprètes, son histoire, ses thématiques, ses angles, son audace, son originalité, son ton, souvent, tout ça à la fois, bref, je vous parle d'un film dont j'ai généralement beaucoup aimé tous les choix.

Je vous parle, comme toujours, passionnément. 


GHOST WORLD
de TERRY ZWIGOFF

Dans les années 90, je découvrais la BD pour adultes. Noooooooooooooon! pas la porn*, la bande dessinée qui s'adressait aux adultes. Là où je travaillais, j'avais mis la main sur une promo copie de film, un documentaire sur le bédéiste Harry Crumb, que Terry Zwigoff a tourné avec lui, en 1995. Un film formidable aussi. Ça a aiguisé mes antennes sur le réalisateur. 

Quand j'ai vu que 6 ans plus tard, il adaptait l'univers du bédéiste Daniel Clowes, avec entre autres, Thora Birch, découverte deux ans avant dans American Beauty, Scarlet Johansson, encore toute adolescente, et Steve Buscemi, que j'ai toujours largement apprécié, j'ai porté attention. 


Il y a cette tombe en Angleterre dont l'inscription marque les imaginaires. 

This World to her, was but a tragic play, she came, saw, dislik'd, and passed away.

Ce court poème est facile à se remémorer chez les personnages de Clowes. Le filme raconte le quotidien d'une jeune fille de 18 ans, à Los Angeles, surfant sur sa tristesse solitaire, toujours pimenté de commentaires ironiques. Enid vient de graduer et n'a aucun plan pour le futur. Elle ne pense surtout pas mariage et n'a pas envie de travailler, pas plus qu'elle ne sait ce qu'elle fera la semaine prochaine. Elle est coincée dans un monde qu'elle considère stupide et plein de "phoney's" Le personnage n'est pas sans rappeler Holden Caulfield, au féminin. Mais Enid est si brillante, si avancée, si doublement ironique, que les gens auxquels elle adresse ses remarques ne comprennent même pas ce qui se passe. Je connais ce type de gens. Ils étaient des mes classes "d'enrichi" à l'école secondaire. Je les trouvais charmants, à leur manière. Même si ils carburent à la satire, et peut-être justement parce qu'ils carburent à la satire, on dirait qu'ils sont 25 ans en arrière, dans leur style vestimentaire. 


Sa meilleure amie, Rebecca (Johansson non sexuée), est la seconde moitié de ce couple désabusé faisant continuellement face à l'horreur sourde du monde dans lequel elles sont prisonnières. Il y a des tandems comme ça dans toutes les écoles. les brillantes asociales qui ne semblent entrer dans aucun moule. Elles sont mordantes. Par exemple, au bal de finissants, quand une des leurs, maintenant en chaise roulante suite à un grave accident, fait un discours de fin d'année, elles disent "je l'aimais tellement mieux quand elle était alcoolique et accro aux drogues, elle est soudainement Miss Perfect".  Vous comprenez le genre. C'est évidemment, une comédie.


Mais Rebecca montre des signes d'ambition. Ce qui laisserait Enid, baigner dans sa soupe à médisance. Répondant à une annonce dans le journal local, elle fait la rencontre d'un homme aussi seul qu'elle (Buscemi), duquel elle finira par prendre en charge la vie amoureuse et qui lui est plus important qu'anticipé. Les deux ne peuvent pas former un couple. Ils sont trop semblables à envoyer des messages que personne ne reçoit. Ce film est un amusant exposé sur mes surdoués de la classe d'enrichi qui n'étaient maladroits qu'à un seul endroit: les corridors scolaires, entre les cours, au civil. Je connais beaucoup ce type de bebittes. Elles me plaisent. 


Zwigoff lui-même est un moineau d'une espèce rare. J'aime l'unicité. La couleur franche. Pendant le tournage de Crumb, un extraterrestre démasqué, Zwigoff avait des problèmes de dos importants. Il couchait la nuit avec un revolver sous son oreiller afin de pouvoir choisir d'en finir si la douleur devenait franchement intenable. Quand Crumb menaçait qu'il ne voulait pas qu'on vienne le filmer, Zwigoff le menaçait de se suicider. Crumb rencontrait plus martien que lui.

Ceux qui me connaissent savent que...enfin...je ne peux pas tout vous révéler tout le temps. Comme le disent les grands philosophes édentés tantriques de votre planète: Faites vos recherches.

 Ce film sera mis en nomination Zwigoff/Clowes, aux Oscars, dans la catégorie du meilleur scénario adapté d'une autre oeuvre, c'est dire à quel point, l'univers de la BD a habilement été travaillé.

L'humour y est noir. L'esthétique kitsch y est remarquable. Ça sent la BD de partout. Zwigoff a l'intelligence de placer, dans le personnage d'une enseignante, l'exemple parfait du problème de parler de l'art pour ce que ça représente au lieu de parler de l'art pour ce que c'est. "C'était" dans la scène précise. Le piège de la rectitude politique. Teri Garr est aussi assez formidable dans un rôle qui confirme qu'il n'existe pas de petits rôles. Bob Balaban, aussi. 


Ce film est un amusant triptyque de multiples solitudes. Je veux toujours serrer les personnages de ce film dans mes bras, après visionnement. Leurs jours semblent inconsolables et le risque de traiter une telle matière par Zwigoff pouvait vraiment faire patate. Mais non. Zwigoff sait de quoi il parle.


La fin est tout simplement formidable. Visiblement les producteurs ont poussé pour une résolution heureuse pour ce film majoritairement cynique. Zwigoff a eu l'intelligence de la donner à un personnage secondaire.

Sachant très bien que pour les personnages d'Enid et de Steve Buscemi, avec leurs problèmes ne peuvent les régler sur 112 minutes. Ou dans une narration d'une semaine ou deux. 

Pour moi, c'est aussi ça une fin heureuse. Qui ne prends pas son spectateur pour un(e) irréfléchi(e). 

*Là, j'étais acteur, performeur.

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