Tu es si belle en ce moment. Tu l'étais déjà. Mais là tu rayonnes.
Tu t'amuses avec tes amies dans la cour de récré, tu es au-dessus de tout nuage gris.
Tu sembles ne pas réaliser le triste théâtre qui s'est déroulé sous ton toit.
Ton père a fait fermer la rue la semaine dernière. Il t'a donné congé à toi et à tous tes camarades de troisième année. Ma fille de deuxième année était contente de passer sa journée avec son papa. Mon fils, en sixième multipliait les appels à ses amis. C'était Call of Duty Modern Warfare en direct.
"Il y a un tireur à l'école!"
Mais non. C'était dans la rue en face. Mais comme nous habitons à un jet de pierre de l'école, et que l'homme barricadé, ton papa, habitait à un jet de pierre lui aussi de l'école, mais de l'autre côté, nous nous retrouvions donc prisonnier du quadrilatère des rubans jaunes et oranges toute la journée. Avec des policiers partout et des ambulances dès 4h46 le matin.
C'est 12 heures que nous sommes restés prisonniers de notre maison. Sans permission de sortie. Ton père lui, est plus mal en point . Il est prisonnier depuis/pour? longtemps de nuages gris qui l'ont habité à son retour du travail en Bosnie. On ne trempe pas dans l'horreur sans en garder quelques éraflures. Les araignées dans son plafond sont devenues démons quand maman lui a fait comprendre qu'elle ne l'aimait plus comme avant. Que leurs mondes ne communiaient plus. Qu'il faudrait bien faire quelque chose.
Elle, ce qu'elle a choisit de faire, c'est d'en aimer un autre. Quelqu'un qui lui faisait du bien.
Papa, ce qu'il a choisit était moins calculé. Il a perdu l'équilibre. Il a été débalancé. Il est tombé dans un état.
Un état ça peut être toute sorte de choses. Ça peut être imprévisible. C'est pour ça tous les monsieurs en costume de police dehors autour de la maison. Pour contrôler les dégâts potentiels. Tu es partie toute endormie dans les bras de maman tôt le matin. Tu es allée dormir chez grand-maman. "Congé aujourd'hui chérie" t'as dit maman. Puis elle est partie "travailler". Tu as compris plus tard qu'elle était plutôt aller chez son frère, ton oncle. Tu n'as pas trop compris pourquoi cette menterie. Tu n'as pas remarqué son agitation à elle non plus. Ni l'état de siège autour de la maison à votre sortie au pas de course tôt le matin. Tu croyais rêver de toute façon. Tu as profité de cette journée de congé pour dormir longtemps. Tu es une dormeuse. Tu as peut-être encore rêvé. De soldats qui viendraient te protéger de mauvaise météo.
La police a tenté plusieurs fois de rejoindre ton père. Les conversations ne duraient jamais plus que quelques secondes. Ton père avait la mèche courte. Il raccrochait tout le temps. Il ne s'expliquait pas. Il était trop loin dans sa tête, en Bosnie, en douleur, ailleurs. En périphérie du monde réèl. Son monde à lui s'effondrait. Et ça commençait par la tête. Il entendait bien des gens au bout de la ligne mais ce n'était qu'une succession de mots. Rien de cohérent quand les mots étaient additionnés ensemble. Rien pour lui. Ce monde n'offrait plus rien pour lui. Il ne t'avais pas devant les yeux.
Quand la tristesse a fait place à la haine en fin de journée, il a foncé, armé. Dans ce noir qui meublait son regard. Il a entendu un bruit de pétard. Comme un cable qui se sectionnait. Il est tombé. Il saignait tout à coup. Il n'était plus capable de se relever. Les policiers avaient tiré. Il était au sol, bléssé. Il est à l'hôpital depuis.
Tu n'en sais rien. Tu crois qu'il est malade. Tu as raison.
Tu es allée à l'école le lendemain. Personne ne t'as parlé de rien. Pas tes amis de la classe en tout cas. C'était la consigne scolaire. Il faut toujours écouter les consignes scolaires. Tu as joué avec tes amies. Tu en avais plus que d'habitude cette journée-là. Tu t'es sentie spéciale, unique. C'était une belle journée. Sans nuages gris.
Ma fille de deuxième année était contente de passer sa journée avec son papa, mardi dernier.
Quelque chose que je te souhaite de revivre un jour, petite Gaëlle.
Si c'est encore possible.
Sans nuages gris.
Je prends mes enfants à tes côtés dans la cour de recré. J'étire peut-être mon regard sur ta petite personne. Je ne te dis rien, je ne te connais pas.
Je sais que tu es une dormeuse.
Rêve encore.
De soldats qui te protègeront des états seconds.
1 commentaire:
Je backtrack ton blogue depuis quelques heures. Wow. Ce post est génial. Émouvant. Je suis bien surpris de ne pas voir plus de commentaires.
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