samedi 5 octobre 2019

Heather

Il y a deux semaines, je n'avais jamais entendu parlé de Heather O'Neill.

Puis, en travaillant, une table ronde sur je ne me rappelle plus trop quel sujet à la radio me l'a fait connaître. Elle était invitée à commenter une tendance sociétaire et très rapidement, elle m'a charmé.

Son accent d'abord, puis sa vision des choses et cette manière d'être capable de rester un peu en marge et d'intervenir dans la conversation.

La marge, Heather connaît. Elle n'a pas toujours su que c'était la marge, mais elle y baignait depuis l'enfance.

J'ai tout découvert ça par la suite.

Sa mère, originaire du Sud des États-Unis, est fascinée par Montréal depuis ses 16 ans. Depuis l'Expo Internationale qui met Montréal sur la carte planétaire. Elle rêve d'y vivre. Ses parents lui disent de se trouver un autre rêve, mais têtue, elle fugue à 19 ans et se rend à Montréal par elle-même.

Sur la Mont-Royal, elle fait la rencontre d'un beau parleur d'une quarantaine d'années avec lequel elle entame une relation. Heather sera tricotée entre eux.

Heather naît en octobre 1973. Papa a un tempérament abusif et glisse vers la consommation de drogue et d'alcool excessive. Maman choisit un jour de se pousser avec ses deux filles (Heather a aussi une soeur) et de retourner vivre aux États-Unis, Mais ça ne durera pas très longtemps. Elle retournera Heather à son père. Coin St-Laurent et Ste-Catherine. Le coeur du coeur de Montréal.

Les enfants jouent dans le quartier à tout heure du jour et se mêlent aux pockés de la vie. Ils sont sans réelle supervision. On devient junkie facilement, prostitué(e) ou petit criminel. Le père de Heather sera de la petite criminalité à temps plein au point de séjourner régulièrement en prison. Heather survit dans ce monde en s'évadant dans sa tête. En rêvant.

À 12 ans, c'est à son tour d'en avoir assez et elle retourne aux États-Unis rejoindre sa mère. Mais celle-ci ne l'entend pas ainsi. Elle lui ordonne de ne jamais révéler à son entourage qu'Heather est sa fille. La vie a changé. Traîne alors, aux côtés de madame, son "amie" de 12 ans qui la suit partout...

Ça ne peut toujours pas durer, Heather revient à Montréal. Elle sera étudiante à l'école publique, au Collège Dawson et à l'Université McGill. Elle apprendra à mentir sur sa famille. Mais dans ses mensonges, elle se perd tranquillement. Elle fictionalise au quotidien. Elle découvre de plus en plus qu'elle en grandit dans la marge.

Jeune adulte, elle répète le cycle familial et, belle fille, craque pour un amoureux...junkie.
À 20 ans, elle deviendra maman d'une fille portant le même nom que ma mère: Arizona.

À 26 ans, elle réussit à faire publier un recueil de poésie: Two Eyes Are You Sleeping.

Quand sa fille a 13 ans est publié son premier roman. Lullabies For Little Criminals. Le livre ne paraîtra pas sous son vrai nom. Son coloré père, au nom Québécois, lui suggère un nom plus exotique et lui propose O'Neill. Heather O'Neill obtient un immense succès avec l'histoire, inspirée de son enfance, de "babe", une jeune pré-ado, entraînée malgré elle dans le cercle infernal des abus toxicomanes de son père et dans la marge.
Son livre sera récipiendaire de deux prix canadiens, listé pour le prix du Gouverneur Général, pour le Orange Prize for Fiction, pour le First Novel Award d'Amazon Canada, pour le Noble & Barnes Great New Writer Award, pour le Grand Prix du Livre de Montréal, en Afrique du Sud pour le Exclusive Books Boeke Prize, en Irlande pour le International Dublin Literary Award.

Mais la traduction de France, d'un univers montréalais, est une véritable catastrophe.

Elle sera contributrice au New York Times Magazine, au Guardian, à This American Life, CBC Radio, au Rookie Magazine, Elle, Châtelaine, au National Post, au Globe & Mail. au Toronto Star et à The Walrus.

avec Arizona
Elle élève sa fille seule duquel elle sera toujours très proche.

En 2014, elle publie son second roman, pas complètement étranger à l'univers du premier livre, Miss Saturday Night. On y trouve les chroniques d'un frère et une soeur, enfants d'un père anciennement chansonnier et fort populaire au Québéc, qui est maintenant en prison. Tout le monde les connaît, mais personne ne connaît le tumulte de leur existence. Très drôle et agréable à lire. Même si elle abuse démesurément de comparaisons et du verbe "like". Certaines images restent délicieuses.
Une traduction Québécoise de Dominique Fortier (qui traduira toute la suite) vient tout juste de paraître.

Elle lance un recueil de nouvelles en 2015, Daydreams For Angels est est listée pour le Giller Prize. (dont elle sera membre du jury 3 ans plus tard).

The Lonely Hearts Hotel, lancé en 2017, est situé à Montréal à l'époque de la Dépression. Il commence durement par un viol incestueux d'une mineure. Ça donne le ton. Deux orphelins en naissent et grandissent dans la pauvreté extrême. Le livre est une histoire d'amour racontée avec la force d'une légende rappelant le charme du piano, des danseurs invisibles, des choeurs féminins radicaux, des musiciens drogués, des sombres clowns, et de l'underground où tout se négocie d'un baiser.

La traduction de Dominique Fortier vient aussi de tout juste paraître sous le titre Les Enfants de Coeur.

J'ai essayé Lullabies For Little Criminals en français (seule version disponible à ma bibli) et je n'ai pas tenu une page.

J'ai ensuite lu avec bonheur Miss Saturday Night.

Je vais peut-être aller m'acheter son premier livre en langue originale.
Et son recueil de poésie tant qu'à y être.

Elle a eu mon âge, hier.
Bonne fête, charming H à l'accent grisant.



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