jeudi 28 septembre 2023

La Race Humaine Au Pédoncule Charnu

C'était 1990. Nous entrions au CEGEP et avions 16, 17 ou 18 ans. Kluzak était à la lead guitar, Goyette à la base, Miv à la batterie, c'était le trio de vrais musiciens. Michaud (occasionnellement) était aux claviers et moi au chant et la guitare rythmique. Nous étions pompeusement The Human Race d'un nom entendu dans une chanson de Men Without Hats

On se donnait en spectacle à l'école ou dans les partys entre amis.
On jouait R.E.M. , The Cure, Bowie, The Clash, Led Zep, les Stones, The Doors, qui redevenaient populaires avec la sortie du film d'Oliver Stone. C'est justement en spectacle dans le café du CEGEP qu'une fille nous avait remarqué et qu'elle en avait parlé à ses parents qui étaient propriétaires d'un magasin de plantes, de fleurs et de décoration qui s'appelait Le Pédoncule Charnu. Ils étaient ouverts depuis moins d'un an et cherchait à attirer plus de gens et cette fille, et ses deux parents, avaient pensé que ce serait une bonne idée de nous embaucher afin de faire un spectacle de musique dans leur magasin. 

Ils allaient nous payer.

Comme ils ne nous avaient pas vu, ni entendu, il y avait risque. Mais ils avaient fait suffisament confiance à leur fille pour nous demander de performer...un vendredi de jour. Ce qui impliquait donc que certains d'entre nous manqueraient assurément des cours de CEGEP.  Si ils nous demandaient un vendredi, de jour, c'était justement parce qu'il y avait moins de monde et que le risque de se tromper avec nous produisant des sons inconnus d'eux serait moins fâcheux à corriger. 

Tout s'était décidé très vite et personne n'avait eu le temps de s'informer ou de se rendre sur place afin de voir comment on allait procéder. 

Nous nous sommes pointés avec nos kits (mais pas Michaud) à 4 et sommes restés stupéfaits de constater qu'il n'y avait pas vraiment d'endroit pour nous pour y jouer. Pas de scène, mais surtout pas de prises de courant proches. Enfin, une, de deux branchements (les prises multibranchements n'existaient pas vraiment encore ou nous étions trop bêtes) Et nous avons tout juste pu brancher les amplis de Kluzak et Goyette et leurs instruments avec d'habiles combinaisons de rallonges que nous avions, mais j'ai dû jouer acoustique et aucun micro n'a pu être branché, j'ai (on a) chanté de vive voix. 

On avait très bien joué. Dans cette même semaine, on avait joué le dimanche d'avant dans une pizzeria de Cap-Rouge, et pratiqué les mardis et le jeudi, cette dernière journée, précisément pour ce vendredi. On avait appris le mercredi qu'on serait en spectacle. Comme on disait dans le jargon, on jouait "tight". Serré. Orange Crush, The One I Love, Love Me Two Times, Going to California,  Pretty Girls Make Graves, Rebel Rebel, Spanish Bombs, Lost in the Supermaket, Dead Flowers, Time Waits For No One. The Passenger avait particulièrement attiré l'attention. Leur fille nous avait filmé. Avec des yeux amoureux pour notre bassiste.

Mais on avait rien dans le répertoire floral ou autour des plantes. On a pensé faire The Hanging Garden de The Cure mais le ton était trop sombre. On chantait du Robert Plant leur avait-on dit, les faisant rire. Mais nous étions surtout bruyants dans un univers où on était pas convaincus qu'il fallait l'être, sous quelques équivalents de palmiers et avec des grosses plantes partout qui nous donnaient l'impression quand même exotique de jouer dans un bayou. Avoir su, on aurait pratiqué notre CCR que nous jouions aussi parfois. Nous étions surtout dans les jambes des clients qui nous demandaient parfois de nous tasser pour atteindre certains achats potentiels. On s'est pas pire adaptés.

Si les deux premières performances avaient été des surprises pour les clients, surtout les première notes puisqu'on ne pouvait pas s'annoncer au micro, la troisième et surtout la quatrième performance avait attiré pas mal de curieux qui nous écoutaient attentivement et certain(e)s dansaient même. Les proprios nous avaient quand même annoncés d'une affiche à l'entrée. Et si au début de la journée, ils avaient été inquiets de la tournure des évènements, à la 4ème et dernière session, ils étaient contents de l'effet sur leur clientèle. On leur avait même fait trois morceaux de Leonard Cohen en "rappel" botanique. Ce qui était tout à fait dans le ton de leur clientèle et les laissait sur une forte impression de sagesse confortable. Ils avaient tous chanté Hallelujah à la fin avec nous après avoir entonné avec nous le refrain de la chanson d'avant.  

Ils nous avaient présentés comme des "amis de leur fille", ce que nous n'étions pas encore, mais Goyette serait son partenaire de vie, un certain temps par la suite. 

À la fin de ce 4ème set, une dame était venue nous voir pour nous demander si nous n'étions pas supposés être à l'école. 

Oui, mais non, avions nous en somme, résumé vaguement. 

Elle nous avait dit que sa propre fille voulait aussi faire partie d'un band, qu'elle jouait de la guitare. Ça nous avait allumé. Nous voulions ajouter une femme au band, si elle jouait d'un instrument, justement. (Ça ne ferait pas avec elle) Nous étions content de nous, on ne croyait pas jouer au bon endroit pour chanter des fleurs mortes, mais étions content de leur chanter drink in your summer, gather your corn, the dreams of your night time, will vanish by dawn.   

On se sentait épicuriens sans même connaître pleinement le sens du mot.

Puis la dame nous as redescendu sur terre.

"Ma fille veut poursuivre ses envies musicales mais je ne voudrais pas qu'elle finisse comme vous"

(...)

On est resté bouche bée.

Bouche la bée.

Puis on a ri quand elle a quitté. 

Çe fût notre seul (multi)spectacle(s) au Pédoncule Charnu dans notre illustre carrière.

Nos racines étaient ailleurs. C'était pas notre clientèle. 

On avait le monde à conquir.

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