Un court dodo de 16h20 à 17h00 genre.
J'avais donc le cheveu un peu fou et l'oeil bien noir.
L'amoureuse revenait du travail et j'allais reconduire la puce chez une amie.
Je l'ai vu me regarder comme si j'étais le petit nouveau au bureau.
"quoi?"
"T'es ben beau..."
"Je suis en congé les deux prochains jours, pas de trad, pas de nuits blanches, je suis heureux, le bonheur rend beau"
J'ai dit ça spontanément et je le pensais, mais je faisais aussi "control/save/enter" mentalement. Passé 40 ans, on revisite ce type de regard sur soi chez de parfaites étrangères qui ne vous le diront jamais aussi clairement (et que vous vous demanderez toujours si vous n'inventez pas tout ça dans votre tête de déviant) mais venant de celle qui vous trouvait si beau à 20 ans et qui, forcément, ne pose plus les même yeux sur vous, 21 ans et demie plus tard, ça a fait du bien à l'égo. Dans la voiture, je me suis regardé voir c'était quoi pour elle "beau".
Le col de la chemise relevé, la barbe de quelques jours, l'oeil et le sourcil foncés, les lèvres sèches, donc très rouges. J'avais le look d'un bad boy. Pour une fois sa conception de la beauté pouvait peut-être rejoindre la mienne. C'est fou ce que des fois nous sommes aux antipodes sur nos envies. Quand je me trouve mal habillé, avec un manteau de cuir, un polo ou une chemise dans entrée dans les pantalons, elle me trouve beau, quand elle regrette de ne pas s'être peignée ou maquillée, je suis justement en train de la (re)trouver si belle en me demandant "qu'a--t-elle changé, donc?".
Ce regard qu'elle m'a donné dans l'entrée, c'était celui du flirt. Légèrement indisposé par l'effet que l'autre fait sur soi. La paupière un peu lourde et le mouvement des yeux lents. L'insistance du retour visuel sur ce qui devient un être convoité. La main obligatoire passée dans les cheveux, pour se montrer aussi sous son meilleur jour, pour se sentir dans la même ligue que l'autre. Le regard de la jeune femme sortant de la clairière pour y trouver son chevalier.
Quand on passe autant de temps que nous l'avons fait dans l'oeil de l'autre, on fini par ne plus tellement se voir. Et pour nous, avec mes vies parallèles de jour et de nuit, semaine et week-end, c'est encore plus vrai. On se perd de vue. Mais là, je l'ai entendue me voir. Je l'ai sentie me désirer.
Je suis lointain depuis 7 mois. Depuis ce travail de nuit qui fait de notre quatuor un 3 +1 dans bien des situations. Je jongle beaucoup avec l'idée de quitter tout ça. Et de couper du même coup mon salaire de moitié...
Quand je suis revenu à la maison, mon fils avait des tonnes de choses à me raconter sur la FIFA. Cette ligue de soccer, sport qui m'intéresse moins que pas et dont je fais l'extrême effort de feindre un peu d'intérêt pour fiston. L'amoureuse restait derrière, et nous espionnait de loin. Comme une figurante dans un film aurait été légèrement éblouie par des comédiens qu'elle admire loin devant. Je lui lançait un regard de temps à autre. Du flirt bien entendu. un regard qui tentait aussi de lui dire à la fois "Si Monkee n'était pas dans mes pattes, je te montrerais bien l'effet que tu me fais toi aussi" et "tu vois que je fais un gros effort pour faire semblant que ça m'intéresse?". Je la sentais séduite maintenant par le père que j'étais.
Trucs qui plaisent aux femmes:
-L'apparente virilité d'un bad boy
-La docilité attentive d'un père
Le noir et le rose en même temps.
L'équilibre du danger.
Au secondaire les signaux étaient faciles à décoder.
(C'était avant l'internet)
Vous saviez que quelqu'un pensait beaucoup à vous quand:
-Quand le bottin scolaire, avec nos coordonnées, nos faces, et nos # de téléphones paraissaient, en octobre, le téléphone sonnait désormais pour nous, pour des questions naives sur des devoirs, sujet épuisé en 22 secondes pour parler d'autres choses par la suite. Commençant inévitablement par "kess tu faisais?"
-Une même fille vous accueillait continuellement par une accolade, vous quittait de la même manière et trouvait toute sorte de raison pour poser ses fesses sur vos cuisses quand vous étiez assis entre amis.
-Quand une fille vous volait vos affaires, vous obligeant à négocier avec elle par la suite.
-Quand elle orientait continuellement les conversations sur le sexe et autre fantasmes intimes ou encore quand elle parlait régulièrement des "cadeaux qu'elle aimerait reçevoir".
-Quand elle faisait continuellement sentir en votre présence le désarroi de son célibat.
-Quand elle riait à tout ce que vous disiez. Même ce qui n'était pas drôle.
Mais avec les couples en union libre comme le nôtre, 21 ans sous le même parapluie, les signaux deviennent plus subtils. Parfois même obscurs.
En banlieue le rythme de vie est placé sur la voie d'accotement.
À contre jour, l'image est floue*.
Si bien que quand la lumière est claire comme elle l'était ce jour-là...
La morsure dans l'entrée était un prélude à la petite mort qui accompagnerait la nuit.
Et séduirait les mémoires sensorielles.
*Ce diamant brut d'Alexandre Desilets est retranché de deux bonnes minutes instrumentale en clip vers 2:06. La version de l'album est nettement meilleure, voire bouleversante. Je vous encourage vivement à l'acheter sur ITunes ou mieux, à vous procurer l'album.
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Parce que des enfants pas tellement doués pour l'expression francophone et frôlant la débilité pure se sont infiltrés sur ce site je me vois forcé de modérer les commentaires :)