J'ai connu 8 ans des années 70. Je serais menteur de dire que je les connais parfaitement, mais j'en étais, et existentiellement, j'ai absorbé les années 70 de 0 à 8 ans. Musicalement, cinématographiquement, culturellement, je suis encore très fan de ces années qui étaient des années transitoires en Amérique du Nord où nos parents boomers devenaient des adultes qui devaient être responsables et matures, ce qui obligeait un éveil face à la religion, aux droits civils, aux rôles des femmes et aux liens du mariage. Processus déjà enclenché dans les années 60. Forcé encore par les nombreux Baby Boomers.
New York, en 1975, au moins jusqu'en 1977, n'était pas qu'une ville elle était fournaise. Elle brûlait d'une lumière artistique étrange qui allait puiser dans la criminalité croissante menant à
l'été de Sam, les vidanges s'empilaient dans les rues, on allait perdre l'électricité qui allait plonger la ville dans le noir. Au sens propre comme figuré. 3 prophètes musicaux peuplaient le Max's Kansas City, le CBGB ou le The Bottom Line, Bruce Springsteen, Patti Smith et Lou Reed.
1975, le gars de Jersey, Bruce, avait déjà 10 ans de performances dans les bars et sur scène et
Born To Run, composée cette année là, allait être une grenade d'espoir au coeur des États-Unis en lendemain de veille. Le fils d'italienne au manteau de jeans jouant de sa Fender Telecaster ou de sa guitare acoustique, était une nouvelle version des poètes beat. Dans l'antichambre des punks de NY, il ne vendait pas de la nostalgie autant qu'il exorcisait des fantômes pour celui ou celle qui savait écouter. Il allait être sur scène au
Bottom Line à l'été 1975, un concert dont les gens allaient parler encore longtemps. Journalistes, critiques, fans, future légendes du rock, disaient tous que voilà sous leurs yeux un émissaire patriotique sain. Qui peut encore faire croire que le rock n' roll a de l'importance et une portée réelle. Capable de faire circuler le sang dans les veines et gonfler le coeur, même si les souliers se couvraient d'asphalte.
Au même moment, la bonne sorcière poète punk Patti Smith naissait aussi sur scène et sur galette avec son premier effort musico-poétique
Horses. Un chef d'oeuvre. Bruce rendait romantique
Asbury Park, Patti conjurait plus élémentaire encore. Son premier album croisait Arthur Rimbaud avec une pédale de distorsion de guitare. C'était éméché, sacré, confrontant, baveux au micro branché sur des amplis brisés au travers des nuages de fumée de cigarettes, au CBGB. Tier punk, tier poète, tier shaman elle était sur scène non pas pour divertir mais pour transfigurer. NY était son creuset. Avec Lenny Kaye à ses côtés, et son ami de toujours Robert Mapplethorpe dans l'habillage de l'artiste, ami qui ne survivra pas aux années 80, elle amène alors une énergie nouvelle pour une femme qui ne tente pas de vendre le sexe. Même si le rock 'n roll EST sexe. Elle prend le brut de ses textes, ses compositions en crescendo, et les transforme en élan de proposition sauvage. Elle signe la ligne épique
Jesus died for somebody's sin but not mine. Baffe à la religion, mais baiser langoureux à tout le reste du monde sain. Elle embrouillait les frontières entre religions, genres, performance, rituels, musique, poésie, style. Fille spirituelle de Lou Reed et cousine cosmique de Bruce Springsteen, elle serait de la même tornade en studio avec ce dernier pour sa version de la chanson de Bruce,
Because The Night. Le miroir qu'elle utilisait n'était pas celui d'une princesse, mais celui d'une prêtresse.

Lou, miroir sombre, était déjà un fantôme post-Velvet Underground hantant le Lower East Side ou au Max's Kansas City. À la fois légende et conséquence New Yorkaise, poète des ruelles de nuit, dealer de dures vérités, portraitiste de la jungle de NY, il marchait sur un mince fil entre l'art, l'excès, le génie et l'auto-destruction. La finesse dans un garde-robe fermé. Garde-robe qui conservait aussi un expérimentateur sexuel qui avait tant effrayé ses parents, en essayant le sexe au masculin (même pas avec des beaux gars dira Sterling Morrison), que ceux-ci l'avaient forcé aux électro-chocs, ce qui le rend amer à vie. Entre 1975 et 1978, il vit intimement avec la trans Rachel Humphreys. Il composait, il y a 50 ans, son amour pour Coney Island, mais trois ans plus tard, il lançait Street Hassle, 8e album solo du suintant Lou. Journal d'une ville décadente, signée d'un décadent, déchiré entre désir, besoins et survie. Lou ne produisait jamais pour plaire. Il jouait pour purger. Il était le miroir dans lequel aucun New Yorkais ne voulait se regarder. Le New York des drag queens et des trans, hantise encore régnante chez les ignorant (e)s de nos jours. Il exposait les junkies qui voulaient s'en sortir avec une étrange tendresse, moins cynique que sincère dans le désespoir. Son NY n'était pas le boardwalk de Bruce, ni la cathédrale de rêves de Patti. C'était le conduit de tuyau liant les deux. Poétisant la vraie vie de NY.

Ces trois artistes seraient le même pouls sur
une chanson signée Reed. La gravité culturelle les faisant circulant autour des mêmes planètes créatives dans un système solaire brisé, ils avaient tous le pied dans la même rue et l'autre dans les étoiles. Bruce était à la poursuite du rêve Étatsunien qui semblait vouloir quitter NY par
le Turnpike. Smith brûlait le drapeau des États-Unis,
pissait dans la rivière ou
dans l'usine et rendait ça beau. Lou disséquait le tout avec un calme chirurgique, saignant lui-même sur la table d'à côté.
Ils étaient temple de sincères distorsions sociales. NY allait survivre comme on souhaite que les États-Unis survivront la renaissance du fascisme raciste aux États-Unis. Trois électrique poète criant dans le vide et le vide leur répondant.
Vendredi sera lancé Springsteeen :Deliver Me From Nowhere pour lequel j'ai beaucoup trop d'attentes. Le film raconte Springsteen en 1981-1982, lors de la composition de son album mythique Nebraska. Qui mènera à Born in The USA. Un vortex temporel que j'espère axé sur la création, comme je viens de le faire autour de ces 3 soldats de la jungleland de NY des années 70.
En 1982, j'avais 10 ans. Ne connaissait rien de Bruce Springsteen. Et si peu de la vie. Je goûterai une part de mon Amérique vendredi. Espérant à la fois poésie, fantômes et profondeur.
Scott Cooper, as tu ça en toi ? I don't know who you are.
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Parce que des enfants pas tellement doués pour l'expression francophone et frôlant la débilité pure se sont infiltrés sur ce site je me vois forcé de modérer les commentaires :)