Sinon à vous, lecteurs/lectrices du jour, aujourd'hui.
Il existe deux périodes claires pour Waits. Le célibataire et le marié. Avant de rencontrer sa Jersey Girl, Kathleen Brennan, artiste elle-même, co-compositrice et muse avant-gardiste, et une fois qu'ils furent un couple, couple toujours bien vivant, 43 ans après avoir été marié.
Avant Brennan, Waits était jazz, crooner, piano man, Dylanesque, pop rock, nocturne.
Brennan et la suite: Jazz, crooner, piano man, avant gardiste, pop rock, expérimental, fracturé, abstrait, surréaliste, beat, alternatif. Pas pour tout le monde, mais franchement intéressant pour mes oreilles, encore. Je suis immense fan.Explorons, album par album (17x):
1973: Closing Time.
Solitude fin de nuit, lounge bar enfumé, piano mélancolique, jazzy funky voix graveleuse, Tom se présente comme un oiseau de nuit, empestant l'alcool et le tabac, mais nous berçant dans du Frank Sinatra/Randy Newman/Tony Bennett/Bob Dylan trempé dans une cabane en bois aux murs au parfum de whiskey emboucanné. Il espère ne pas tomber en amour avec vous, mais n'a aucun contrôle sur l'inverse.1974: The Heart of a Saturday Night
Début d'une oeuvre taillée avec l'ingénieur et producteur Bones Howe. Les cuivres s'introduisent. Le titre de l'album est un clin d'oeil à Jack Kerouac, et la pochette, inspirée du génial In The Wee Small Hours de Frank Sinatra. L'essence de Waits est toujours cocktail lounge, bar tard la nuit, striptiseuse, poivrots et gens usés par la vie. Vertige after hours, folk. blues, jazz qui font du ciel, la Une de la première page du jour.
1975: Nighthawks at the DinerJudicieux condensé d'ami(e)s, d'entourage et de gens de la maison de disque dans un café afin de prétendre à un spectacle, Tom-le-narrateur charme par son humour sarcastique, cynique et ses histoires hantées, entre la poésie beat et le folklore, ce sont souvent ses interventions entre les chansons qui surclassent le morceau lui-même. On découvre la très amusante personnalité de Waits et l'album s'écoute tout seul comme si on y était.
1976: Small Change
Inspiré de Louis Armstrong, Tom a la voix volontairement forcée usée. Accompagné d'un trio sax, base, batterie et de quelques fois des cordes, il pianote en amalgamant les personnalités d'Humphrey Bogart, Dooley Wilson, Dean Moriarty et Jack Kerouac. Ce n'est pas lui qui a bu, c'est son piano. Effluves de Raymond Chandler et Charles Bukowski. La femme au seins nus sur la pochette serait peut-être Cassandra Petterson, qui allait incarner Elvira, reine de la nuit, dans les années 80. Elle ne peut confirmer ni infirmer pensant bien que oui, mais parfois non. Sachant qu'elle est issue de ces lieux. Tom commence a avoir la bouteille facile à la bouche. Il essaie d'en rire.
1977: Foreign AffairsTrès cinématographique, on se croirait dans un film de Samuel Fuller, film noir, bien entendu. Waits veut un autre son. Il reste jazz, bluesy, mais est plus ballade sur cet album. Qui fût le premier que j'ai consommé, ado, acheté dans un magasin d'usagé de la Rue Cartier, à Québec. Il évoque Al Jolson, Neal Cassady & jack Kerouac encore. Richard Rodgers ou Georges Greshwin. Travelogue encore enfumé qui inspirera Françis Ford Coppola à l'engager pour jouer dans ses films et lui offrir de composer la trame sonore de un de ses films.
1978: Blue ValentineWaits invite la guitare électrique et les claviers synthétisés tout en restant dans le blues. Les philosophies de fonds de taverne sont encore exposées. La texture de l'artiste semble maintenant en tôle fripée, et pour Noël, Tom reçoit une carte postale d'une prostituée de Minneapolis. Sa tendresse a toujours un peu de terre noire sur les mains. Il ne réinvente rien dans ses imageries, mais ne fait rien comme les autres non plus. Si Chet Baker chante la chanson titre comme un doux châton, Tom est le chien de ruelle qui fera de même. Il devient de plus en plus bizarre, et c'est tant mieux. Il fréquente intimement Rickie Lee Jones, qui elle, le trompe avec les seringues.
1980: Heartattack & VineGutbucked blues avec des angles rock et du R & B primaire, Tom livre son dernier album pour l'étiquette Asylum. Il a fait la rencontre amoureuse de Kathleen Brennan qui changera complètement sa vie. Elle était scripte pour Coppola, mais est bien plus que cela. Elle sera muse et inspiration. Il se confesse de son complet coup de foudre. Il évoque parfois Bruce Springsteen, ce qui a fait ce dernier reprendre Jersey Girl, dont il a reconnu un style proche du sien. Rien en sera plus jamais pareil pour Tom Waits. KB est un point de bascule.
1983: SwordfishtrombonesTom s'est débarrassé de son gérant, de son producteur, de sa maison de disque, a marié Kathleen, qui lui a fait découvrir qu'on peut approcher la musique différemment quand elle ne nous excite plus, ce qui était le cas de Tom. Moins axé sur le piano que maintenant dirigé vers une variété impressionnante de percussions (et ce, pour le restant de sa carrière), la base et les cuivres diversifiés, Waits passe de Hoggy Carmicheal ou Louis Armstrong à Kurt Weill ou Howlin' Wolf incarné par Captain Beefheart. C'est presque Fellini Amériicanisé. Comme ça n'avait aucune chance de jouer à la radio, aucune étiquette ne s'y intéresse pendant 13 mois. Mais ce premier morceau d'une culte trilogie de la réinvention seront des tapisseries sonores formidables au final. En tout cas pour moi.
1985: Rain DogsPuisque les critiques adorent la nouvelle direction de Waits mais il ne vend pas, il a la mission de maintenant se rendre intéressant pour tout le monde, idéalement. Quand on lui demande avec qui il voudrait collaborer, il dit à la blague Keith Richards. Qui se dit alors interréssé. Entre increvables no-bullshitters, ils deviendront bons amis pour la vie. Richards collabore à 3 morceaux et le fera souvent par la suite. L'excellent Marc Ribot y apporte aussi sa couleur. Kathleen collabore beaucoup, mais reste discrète, toujours. Blues sale, tango fatigué, cet album sera considéré comme son meilleur à vie par plusieurs et celui par lequel vous saurez si vous aimez son univers ou pas. Culte.
1987: Franks Wild YearsDernier volet de la trilogie de la réinvention, Tom revisite ses années en première partie de Frank Zappa et ses mères de l'invention. Un de mes albums préférés à vie.
1992: Bone Machine
Dans un sous-sol cimenté ne contenant qu'un chauffe-eau de studio californien, Tom aime l'écho de l'endroit et le choisit afin d'enregistrer son 11ème effort studio. Un de mes morceaux fétiches s'y trouvera, Le clip de ce morceau sera tourné par Jim Jarmush, un autre favori de l'auteur de ces lignes. Tom & Kate produisent. Tom y joue de manière profuse de presque toutes les percussions. Toutes très originales comme livraisons sonores. Tom est un trésor national dira un des critiques, et il ne se trompe pas.
1993: The Black RiderIl n'est pas étonnant que les univers de William S. Burroughs et Tom Waits se croisent. Cet album est la trame sonore d'une pièce co-scénarisée par Burroughs. Robert Wilson est le metteur en scène et co-scénariste de la pièce inspirée d'un conte folklorique Allemand. Waits le retouvera au début des années 2000.
1999: Mule Variations
Poète des dompes à vidanges, Tom devient moins prolfiique et laisse passer 6 ans avant d'effectuer un fameux retour blues de fonds de bois, qui lui feront gagner, à Kathleen et lui, 4 grammys sur 5 nominations. Tom ne sera jamais si près d'être grand public. Il livre du psycho blues, du narratif paranoïaque, du texte redneck, du country folk, du cet album semble la somme de tout ce qu'il a accumulé comme sons dans sa tête depuis 1980, dans une conformité qui reste fascinante d'innovation. Leur fils de 14 ans participe à une appendice parfois incluse sur des versions étrangères de l'album. Sera parfois batteur sur les suivants.
2002: AliceTom renoue avec Robert Wilson et reste dans les parfums germaniques en lançant pas un, mais deux albums la même année dont celui-ci, une plongée sur Alice Liddell qui était l'obsession de l'auteur Lewis Carroll pour son Alice au Pays des Merveilles. Tendre, parfois glauque, jazz, folk, valse. Cauchemar caramélisé au poison des contes pour adultes macabres.
2002: Blood MoneyL'autre album en collaboration avec Wilson est encore comme une belle chanson issue de la plus laide des bouches ou les pires nouvelles issues de la plus belle des bouches. Un paysage de lac enchantée, mais dont l'eau du lac est du cyanure. Beaucoup de référence aux cabarets Allemands. Adaptation libre de Woyzeck de Georg Buchner, pièce écrite et montée en 1837. Après la mort de Buchner, en 1836. Hanté.
2004: Real Gone
Les premiers textes politiques de Waits font leur apparition se disant contre l'invasion ÉtatsUniennne en Irak. L'album sera voté album de l'année par Harp Magazine. Marc Ribot, Les Claypool et Casey, fils de Kate & Tom, sont parmi les collaborateurs de cette oeuvre. Le banjo y est sombre, ce qui est dur à faire, et on se sent continuellement au seuil d'une apocalypse, pour le moins sonore. Inspiré par les coulisses de la bouetteuse culture politique d'alors.2011: Bad As Me
Succession de chansons très courtes, la plus longue dépassant tout juste 4 minutes, Waits patauge dans le blues, le rockabilly, le R & B, le jazz, accompagné de saxophones et de cuivres exotiques. L'album est un portrait oral de tous les endroits que Waits a fréquenté à vie, pratiquement, un testament sonore.
Dans l'anticipation de l'automne, que j'aimes tant, j'ai marché dans la fraicheur de la nuit, accompagné de ses sons, au travers des années.
Waits est dans mon ADN.
Tom & Kate circulent dans mes veines.
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Parce que des enfants pas tellement doués pour l'expression francophone et frôlant la débilité pure se sont infiltrés sur ce site je me vois forcé de modérer les commentaires :)