Né durant l'Occupation, son père, écrivain, est aussi fondateur du magazine Confluences, publié pendant cette Occupation Nazie et laissant signer de grandes plumes comme Paul Éluard ou Louis Aragon. Selon Bertrand, le poème Il N'y a Pas d'Amour Heureux, d'Aragon, aurait été inspiré de sa mère.
D'abord fan de cinéma, c'est ce qui le caractérisera toute sa vie. La passion du cinéma. Il sera attaché de presse de Jean-Luc Godard à 24 ans, il amène Aragon à la première de Pierrot Le Fou, dont le poète fera une formidable critique élogieuse. C'est en soignant une tuberculose, plus jeune, cloîtré au sanatorium, qu'il prend contact avec le cinéma et subit le coup de foudre.
Pendant ses études en droit, il est pigiste pour Télérama et il fonde un ciné-club. Il devient aussi critique dans le magazine Cinéma 59 ou 60.
En 1961, il est assistant-réalisateur pour Jean-Pierre Melville sur Léon Morin, Prêtre. Il sera attaché de presse un bon 10 ans, entre 1964 et 1974. Il sera l'attaché de presse de Godard, mais aussi de Stanley Kubrick pour 2001: A Space Odyssey, A Clock Work Orange et Barry Lyndon. Tavernier aura le culot de lui envoyer comme télégramme : "Comme artiste, vous êtes génial, comme patron, vous êtes un imbécile".
Après deux segments dans des films en 1964, et deux scénarios tournés par d'autres, c'est 10 ans plus tard qu'il obtient un bon succès comme réalisateur avec l'adaptation d'un roman de George Simenon. C'est une première collaboration avec Phillipe Noiret et une grande confiance mutuelle s'installe entre les deux. Ils travailleront souvent ensemble. De multiples parallèles avec Martin Scorcese peuvent se faire avec Tavernier. Il réutilisent régulièrement des acteurs avec lesquels il a travaillé et son travail en faveur de la conservation, la diffusion, l'apprentissage et la connaissance des oeuvres sont irréprochables. C'est un vrai nerd du cinéma.
Discipliné, il tourne un film par année entre 1974 et 1977. Les deux suivants mettent encore en vedette Phillipe Noiret. Et rallient grand public et critiques. En 1977, il signe une co-scénarisation de Christine Pascale la mettant en vedette, ainsi que Michel Piccoli. La même année il commence la production. Il sera toujours intéressé par l'investissement, financier, affectif ou moral que l'on fait dans un film.
Avec Romy Schneider, Harvey Keitel et Harry Dean Stanton, Tavernier offre un regard futuriste, en 1980, sur nos rapports à la télévision et sur le voyeurisme. Un film prémonitoire annonçant les télé-réalités. Il tourne avec Nathalie Baye la même année, puis frappe fort avec Phillipe Noiret et Isabelle Huppert, l'année suivante. Il fera deux courts-métrage et de la télévision avant d'offrir un documentaire franco-américain sur une amitié entre un Français et un Étatsunien, tissé autour du cinéma et de la musique. L'utilisation de la musique sera toujours importante dans les films de Tavernier.
Il était marié à Colo Tavernier de 1965 à 1981. Avec elle, il signe un scénario plaçant l'action en 1912, chez un peintre sans réel génie au crépuscule de sa vie, film qui donnera des Césars aux scénaristes, au directeur photo Bruno de Keyzer et à Sabine Azéma, comme meilleure actrice, avec Un Dimanche à la Campagne. Il gagne aussi le dernier Grand Prix du Cinéma Français, ainsi que la prix de la Mise en scène au Festival de Cannes.
Inspiré d'une biographie de Bud Powell, il présente un film racontant la vie romancée du saxophoniste Lester Young et du pianiste Bud Powell, sans en utiliser les noms. Dexter Gordon, François Cluzet et Herbie Hancock (qui signe aussi la trame sonore) sont de la distribution. Tout comme Martin Scorcese, qui ne pouvait que lui trouver des affinités communes. Le film remporte l'Oscar du meilleur film étranger, à Hollywood.
Colo Tavernier adapte pour lui un livre de Michel Peyramaure qui parle de relation père-fille, de violence et de démons intérieurs en temps de guerre. Avec Noiret et Azéma, il tourne La Vie Et Rien D'Autre racontant la quête de deux veuves de la Première Guerre Mondiale et d'un commandant chargé de rescencer les disparus. Le film remporte à Noiret le César du meilleur acteur (et le film, de la meilleure musique).
Bertrand Tavernier avait longuement travaillé de faire connaitre le réalisateur britannique Michel Powell aux Français. Quand celui meurt, en 1990, à 84 ans, Tavernier lui dédit son film, signé Colo Tavernier, encore, mais dont Bertrand fera tous les dialogues, racontant la relation entre une scénariste irlandaise renouant avec son père mourant. Ce sera le dernier film Dirk Bogarde.
Il participera, avec Alain Resnais, Jean-Luc Godard et 27 autres réalisateurs/réalisatrices à un collectif dénonçant les prisonniers politiques dans le monde., avant de signer un documentaire sur la Guerre d'Algérie.
C'est en 1992 que je prend connaissance de son travail pour la première fois avec sa chronique du quotidien de la brigade des stups! Bien que je me moque régulièrement de cette expression (la brigade des stups!) j'aime beaucoup l'aspect très réaliste de son film. Montrant un important décalage entre moyens d'opérer contre les trafficants de drogue et ressources pour le faire.
Je verrai son film suivant plus de 150 fois, une comédie sur les trois mousquetaires, maintenant agés, reprenant du service quand la fille de D'Artagnan désire trop impulsivement suivre les traces de son père dans le métier de mousquetaire et les force à sortir de leur retraite. Pourquoi l'ai-je vu si souvent? Je travaillais alors au cinéma du Complexe Desjardins de Montréal qui le présentais.
Je verrai aussi ses deux films suivants que j'ai beaucoup aimés.
L'Appât nous présente Marie Gilain dans son tout premier rôle et elle y est très crédible. Tiré d'un fait divers des années 80, où un trio de jeunes paumés s'organisaient pour qu'une amie, jouant la prostituée chic pour les gens riches, serve d'appât pour qu'ensuite les deux autres viennent le voler le soir même du rendez-vous galant, un de ses soirs virent au véritable drame. Très bien interprété par tout, très réaliste et brutal. Marie Gilain et Olivier Stiruk gagnent tous deux le prix de meilleurs espoirs aux Césars.
Capitaine Conan sera encore plus intéressant pour moi. Adapté d'un roman du même nom de Roger Vercel, le film raconte l'histoire d'un capitaine militaire sur le Front des Balkans pendant la Première Guerre Mondiale, intense et extraordinairement dans son éléments pendant la guerre. Il brille et vibre tout simplement. C'est la définition visuelle parfaite de "être sur son x". Puis, quand cette sale guerre se termine, il peine à se trouver de la motivation à simplement s'occuper. C'est le portrait de gens ne pouvant exister que dans un seul contexte et qui ne sente aucunement plus utile, ailleurs. Phillipe Torreton y est tout simplement formidable dans le rôle titre et gagner le César du meilleur acteur pour ce film. Tavernier, celui du meilleur réalisateur (ex-aequo avec Patrice Leconte pour Ridicule, un autre immense film).
L'année de la naissance de mon fils, 1999, je verrai aussi son portrait de la situation en enseignement et éducation, en France. Sa fille Tiffany, romancière, co-signe le scénario, elle sera aussi assistante-réalisatrice. Son fils Nils sera aussi réalisateur et fera l'acteur aussi.
J'avoue n'avoir plus rien vu de Bertrand Tavernier par la suite. Le cinéma cédant peu à peu le terrain dans mes nouvelles tâches de parent.
Il tournera un documentaire à Lyon, un film historique avec Jacques Gamblin et Denis Podalydès, un parcours du combattant pour adopter un enfant, une adaptation d'un roman de Jamie Lee Burke, aux États-Unis, une adaptation de Madame de La Fayette, une adaptation de bande dessinée de Christophe Blain et Abel Lanzac et tourne un documentaire sur le cinéma, qui se développera en série de 12 heures.
Le cinéma, une passion indéniable chez ce grand amoureux du 7ème art.
Colo, partenaire des premiers instants aux derniers, décède l'an dernier, du cancer, à 77 ans.
Bertrand, le grand, nous quitte la semaine dernière à l'âge de 79 ans.
C'est un grand passeur qui vient de passer.
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Parce que des enfants pas tellement doués pour l'expression francophone et frôlant la débilité pure se sont infiltrés sur ce site je me vois forcé de modérer les commentaires :)