lundi 2 novembre 2020

Bulle de Verre


Le 19 juin 1965, Mon père avait 18 ans depuis la veille. J.D. Salinger, écrivain, mais surtout, Homme traumatisé à jamais par la Seconde Guerre Mondiale où il a débarqué en Normandie, perdus des dizaines d'amis brutalement et découvert les camps de concentration, lançait
Hapworth 16, 1924. Une étrange histoire sous forme de lettre écrite par un jeune Seymour Glass, 7 ans, de son camp de vacances. 

La nouvelle, très longue, prenant toute l'édition du New Yorker du moment, avait été accueillie par un fort inconfortable silence. Après plusieurs années, le consensus était unanime, narcissisme, amertume, improbabilité, triste, lamentable, sans charme, long, illisible, l'auteur du remarquable Catcher in The Rye, se disait alors au sommet de son art. Mais les lecteurs n'étaient pas d'accord.


Il y avait déjà eu fissure, en 1961, quand Franny & Zooey, (que j'ai relu et terminé hier) avait aussi été publié, en deux volet d'abord, en 1955, puis en 1957, titrant les héros, dans le même New Yorker. Il n'était plus le créateur admiré d'Holden Caulfield, mais devenu le fatigant géniteur de la famille Glass.

Ce livre avait aussi été accueilli avec une brique et un fanal. La réception critique avait été assassine. Ressemblant davantage à une séance de flagellation qu'à une occasion normale d'être insatisfait. Alfred Kazin, Mary McCarthy, Joan Didion, John Upidke, avait tous levé le nez.  On avait qualifié Zooey, de très mauvaise histoire, d'interminable morceau d'indulgence personnelle sans forme et horriblement précieux. On critiquait qu'à nouveau, le thème du livre était "nous et eux", et que Salinger parlait encore des "bons vrais" en opposition aux "stupides gens bidons". Des bonnes personnes refermées sur elle-même, comme une corporation fermée avec aux portes de celle-ci des gens bidons hurlant pour y entrer. 

Salinger avait des corridors mentaux à explorer, implosant toujours davantage dans ses propres cauchemars.

Dans A Perfect Day For Bananafish, Seymour se tire une balle dans la tempe. Pourquoi? Parce qu'il réalise qu'il a épousé quelqu'un de stupide et bidon ou parce que son auteur a simplement réalisé que le bidon, c'était lui? C'est les intentions qu'on prêtait à J.D.

Ses instructions sur le vie ont fini par agacer vivement. John Updike dira avec ironie qu'il n'est (Updike) que l'une des millions de personnes qui sont assez stupide pour ne pas être de la famille Glass. Que Salinger les aime trop jalousement, plus que quiconque. Plus que Dieu ne les aime. Et que c'est au détriment de la création artistique de J.D. 


De nos jours, plusieurs, dont moi, considère Franny & Zooey comme un chef d'oeuvre de même taille que The Catcher in the Rye. Salinger était un homme malade de la guerre. Il en a ramené de très graves traumatismes qui l'on rendu socialement inconfortable. Il n'est donc pas anormal de le voir présenter des personnages prisonniers d'eux-mêmes. Relire Franny & Zooey est aussi agréable que de relire The Great Gatsby de F.Scott Fitzgerald. Ça n'a pas pris une ride car il s'agit de longs dialogues plein d'idées. Autant de sentiers à explorer comme une longue marche dans les bois automnaux. La rage accumulée des critiques d'alors a fait fuir Salinger de la ville et des médias en général. Quand on lui a dit "nous ne voulons pas de ton monde" il a répondu par la pareille. Il est devenu sauvagement ermite. Totalement privé. Ce que les critiques ne comprennent pas est que Salinger savaient ses personnages imparfaits. Le narrateur de Zooey, Buddy Glass, en parle comme d'une famille se croyant insupportablement supérieure dont les bébés auraient dû être noyés à la naissance ou encore gazés. Ce qui est lourd de la main d'un Juif qui en a vu d'autres gazés, en voie de l'être, ou sauvé in extremis. 

Les héros anormaux de Salinger sont une sorte de Gregor Samsa dans La Métamorphose de Franz Kafka. Ils ne sont pas aussi dégueulasses et menaçants, sont même plutôt prédisposément beaux physiquement, mais ils sont tout aussi tragiques. Mais aussi risibles. Personne de la famille Glass, au final, ne réussira à vivre confortablement dans la vie. Salinger lui-même n'y arrivait pas, comment aurait-il pu écrire autrement? 

Ses grands insectes avaient la forme humaine. Et dans Franny & Zooey, ils sont dans une bulle de verre. 

Qui se fissurait. L'espace mental de Salinger était parfois une bulle de verre. 

Les États-Unis sont une union qui peut difficilement être plus fissurée en ce moment. Ils sont un hémorragie interne aussi.

Seymour est le prince Mishkin de Dostoievsky dont la mort, dans la famille Glass, hantent tout leur propos. C'est aussi ce qui a probablement inspiré un Phillip Roth et la durée de son Nathan Zuckerman. Peut-être même Updike, lui-même, et son John Rabbit. Des cicatrices qui ne se guérissent pas et qui perdurent. S'étendent gravement. 

Ironique tout de même. 


L'ironie est une forme agressive de la pudeur.

Et J.D. était on ne peut plus pudique. 

"Au moins, tu sauras qu'il n'y aura pas de maudits motifs ultérieurs à cette maison de fous" dira Zooey à Franny. "Peu importe ce que nous sommes, nous ne sommes pas des gens qui clochent (fishy)"

Relire Salinger est toujours pertinent quand on se sent étouffé par la vie. C'est toujours une expérience fortifiante. 

Peu importe l'univers évoqué, rien n'est jamais fishy

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Parce que des enfants pas tellement doués pour l'expression francophone et frôlant la débilité pure se sont infiltrés sur ce site je me vois forcé de modérer les commentaires :)