Comme trop de vendredi, ou en théorie je me concentre sur mes traductions, j'allais courir deux épiceries et les bagels St-Viateur. Avant de réaliser que je n'avais pas mon portefeuille depuis la veille.
J'ai été voir là où j'étais assis au parc pour assister au match de soccer de ma fille la veille au soir et c'est là que j'ai réalisé que je l'avais probablement laissé dans ma veste de travail, dans ma case, à l'entrepôt, à 30 minutes de route. Un vendredi où je n'y travaillais pas. J'ai donc perdu une heure à aller le chercher.
Tu crois, Jones? |
Mais pas perdu tant que ça. La radio m'a fait voyager. 29 ans derrière.
À l'émission que j'aime tant Plus On Est de Fous Plus On Lit, animée par Marie-Louise Arsenault, qui serait facilement mon amie si je me forçais un peu à secouer mes contacts, deux comédiens lisaient un extrait de Goglu de l'auteur d'Amos Jean Barbeau, décédé assez anonymement le jour des 71 ans de ma maman, Arizona Sablonskas Jones, le 28 août dernier.
La pièce est une sorte de version d'En Attendant Godot, où deux Québécois, relativement désabusés, Un ouvrier (Goglu) et un chauffeur de taxi (Godbout-le père de Barbeau était chauffeur d'autobus), errent face au Fleuve St-Laurent, un soir banal comme il s'en fera des milliers dans le monde, mais où on ne cessera jamais de se jaser, de se questionner, de se chercher. La pièce a eu sa première en 1970.
20 ans plus tard, alors que j'étais au CEGEP, mon cours de français exigerait que nous nous pairions deux par deux (ou plus) afin de jouer une scène d'une pièce qu'on performerait devant lui, dans un cubicule de la bibliothèque. On avait pas choisi ni la pièce, ni l'extrait.
Ceux qui connaissent la pièce peuvent déjà me voir venir.
Les deux comédiens à la radio ont commencé à jouer leurs lignes et j'ai tout de suite reconnu le rôle que j'avais alors joué, à 18 ans. Dans le cubicule de la bibli de Ste-Foy. Les deux comédiens n'ont pas joué la séquence qu'on avait alors joué devant le prof, mais j'étais certain certain soudainement que nous avions joué une scène de Goglu. Peut-être même la scène finale. J'en reconnaissais le ton et les personnages.
Vérifications faites par la suite: confirmation. Nous avions joué une scène clé de la pièce. Moi, dans la peau de...je ne sais plus. Je ne sais plus lequel des deux faisait ce que je faisais, mais bon... (vérification faite: j'étais Goglu)
Je crois que c'était le prof qui avait non seulement choisi les équipes, les duos, trios ou autre, et les scènes que nous allions jouer. Une partie de ma scène était humiliante pour moi. Mon partenaire de jeu était le symbole syndical par excellence. Il faisait le strict minimum et son ton était tout sauf incarné. Voilà pourquoi je crois que c'est le prof qui avait fait les équipes car pour ma part, je me rappelle avoir pensé que mon partenaire de jeu (sur lequel nous serions évalué) ne rendait pas justice à l'effort que j'y mettais moi-même. Je n'aurais jamais choisi de me mettre en équipe avec un paresseux qui ne s'investirait que très peu.
J'avais déjà fait des pièces de théâtre, au secondaire ET à ce même CEGEP, dans des premiers rôles même, et j'avais pris la scène très au sérieux. Même si jouée pour un public de 1. Au final, J'avais eu une meilleure note que lui aussi.
La scène exigeait que nous discutions du sort du monde existentiellement, avec une colère douce-amère. Dans un geste de rage et de désespoir, je devais me lever du banc que nous occupions, et me masturber derrière un arbre en dilapidant le fruit de mon effort dans le Fleuve, tout ça imaginé bien entendu car notre décor n'était qu'un cubicule et notre "banc", 2 chaises.
Je me branlais, exultait en disant "Encore un autre bébé dans le fleuve des solitaires!".
Ce que j'ai mimé, n'allant pas jusqu'à sortir ma saucisse de son confort, n'expurgeant rien, sinon un peu d'énergie.
J'avais eu une très bonne note, je devais donc être convaincant. Où le prof me souhaitait dans ses draps et plaçait ses pions pour me donner cette scène et ce rôle pour satisfaire ses fantasmes en me donnant une excellente note pour que je pense à lui avec gratitude.
Où j'étais simplement bon. PEU IMPORTE!
Il s'agissait bien d'une des dernières scènes de Goglu.
Lorsque j'avais quitté le cubicule, J'avais eu un inconfort face aux belles étudiantes qui nous voyaient en sortir, ayant l'impression qu'on m'avait vu feindre de me branler en citant Barbeau.
Revenu vers mes amis, on me demandait d'où j'arrivais.
Je leur répondrais mi-faux,mi-vrai, "de me masturber à la bibli".
Jean Barbeau, décédé à l'âge de 74 ans, qui avait écrit ce passage à l'âge de 45, que j'avais joué à 18, et revécu le temps d'un voyage à l'entrepôt à 47, a marqué mon CEGEP.
Je ne l'ai appris que vendredi.
Dans le sens du fleuve des solitaires.
En pantalons.
Les deux mains sur le guidon.
Pas ailleurs.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire
Certaines Conditions S'Appliquent:
Parce que des enfants pas tellement doués pour l'expression francophone et frôlant la débilité pure se sont infiltrés sur ce site je me vois forcé de modérer les commentaires :)