vendredi 15 juin 2018

Dé de Chansons Décortiquées

1956
I Can Quit You Baby
Otis Rush est un être particulier. Gaucher de nature, il joue de la guitare pour droitier, de la gauche. Il joue donc les cordes à l'envers. Son style de blues est unique. Construit sur la longue note soutenue, vocale ou jouée. Il a 21 ans quand il enregistre le morceau que lui a écrit Willie Dixon, 41 ans. Dixon lui écrit car Rush vit une relation tumultueuse avec une femme. Il voulait que Rush en tire une performance vraiment sentie. Ce qui sera le cas. La chanson lance la compagnie Cobra records et fait un tabac sur la scène blues. Dixon lui-même ne l'endisquera qu'en 1970, sur son album I am the Blues. Led Zeppelin, pilleur de blues professionnels, aura eu le temps, en 1968, d'enregistrer leur propre version pour la sortie de leur tout premier album. Jimmy Page y est hallucinant à la guitare.
Ce blues est si parfait qu'il a été aussi repris par John Lee Hooker, John Mayall & the Bluebreakers (qui comprend à bord des Bluesbreakers, Mick Taylor, à 18 ans!), Little Milton, Dread Zeppelin, Gary Moore et les Rolling Stones avec Clapton à la guitare tout récemment.
Sip off that beer, dude, blues is rude.

1966
Sunshine Superman
Le père de Ione Skye est une superstar dans les années 60. Fin 1965, la jeune actrice Sue Lyon est largement connue pour le film à scandale Lolita de Stanley Kubrick et The Night of the Iguana de John Huston. Elle a 20 ans, Donovan a aussi 20 ans. Ils tombent l'un pour l'autre. Donovan a laissé derrière lui son influence Dylan/Woody Guthrie et épouse parfaitement le flower power. Il entre tout à fait dans le moule de la contreculture de la côte Ouest des États-Unis même si il est écossais d'origine. Son producteur Mickie Most le branche avec John Cameron, un arrangeur jazz formidable et la crème des musiciens de session, dont Jimmy Page et John Paul Jones (encore eux!) futurs Led Zeppelin. Seul Page se retrouve sur ce morceau, pièce titre de son album de 1966. Shawn Phillips (de The Mama's & the Papa's)  y joue aussi de la sitar.
Donovan compose ce morceau par esprit de conquête de Sue Lyon. Mais avant que l'album ne sorte, le couple n'existe déjà plus. Lyon s'est fait verser par Donovan du LSD dans son drink et a eu la frayeur de sa vie par la suite. Elle ne lui a pas pardonné. Le plus gros succès de Donovan viendra de l'album suivant, dont la pièce titre parle subtilement de vibrateur frustrant les amants impuissants et qui cache Paul McCartney à la base. (Donovan l'avait aidé sur la chanson Yellow Submarine).

1972
Superstition
Un jeune Jeff Beck est un grand admirateur de l'oeuvre de Stevie Wonder. Alors qu'il s'apprête à enregistrer son matériel pour Talking Book, Wonder est mis au courant de la chose. Il le fait venir en studio. Beck, brillant guitariste, lui présente toutefois un beat de batterie. Wonder aime, mais réenregistre en jouant lui-même la batterie entendue. C'est Wonder qui trouve le riff que jouera Beck sans arrêt et Stevie improvise le reste au fur et à mesure. Wonder jouera de la clarinette funky et du synthétiseur Moog. La base y sera aussi tirée de ce synthé. Il chante, bien entendu, et ajoute Steve Madaio à la trompette et Trevor Laurence au saxophone ténor.
Un hit est né et tout le monde le sait. Beck veut l'enregistrer aussi, ce que Wonder lui accorde. Mais Wonder sort le single avant lui. Le succès sera monstre. Au Super Bowl de 2013, la compagnie de bière, propriétaire de la Bud Light, enregistre une pub, dont le thème est la validité (ou non) des superstitions, utilise un échantillon de la chanson et Stevie lui-même, en roi vaudou.

1982
Party Girl
Originalement appelée Trash, Trampoline & the Party Girl, cette chanson n'a été créée que pour faire une face B de single. Les paroles adolescentines parlent d'un gars et d'une fille qui se donnent l'un à l'autre, et d'un troisième qui les envie. On dit qu'Adam Clayton, party boy, en aurait été l'inspiration. Le sexe, thème rare dans les textes de Bono. Qui n'avait que 21 ans quand il en a composé les mots. Mais le single n'a pas eu d'impact du tout. Si peu qu'on l'a même retiré du marché après quelques mois. La Face B toutefois, trouvait son public en spectacle. Des ados qui voulaient se donner l'un à l'autre. U2 l'a donc incluse très souvent, dans ses tournées, même récemment. Les vrais fans comme moi en gardent des frissons en tout temps dès les premiers accords. Les chansons composées rapidement sont parfois les meilleurs moments de créativité.
Mon moment préféré survient vers 1:47  "when I was three, I thought..." et la riche guitare de The Edge qui accompagne. Guitar hero. Trash Can Trampoline Jones loves everything about it. Le band n'enregistrera qu'une fois sur disque sa "silly song", soit sur l'album en spectacle de 1983, Under a Blood Red Sky. Elle n'était pas destinée à une aussi longue vie, mais les fans en ont toujours eu envie.

1995
Tom Courtenay
Les chansons de Yo La Tengo ne sont jamais totalement personnelles. Celle-ci est peut-être ce qui s'en rapproche le plus. La nostalgie évoquée est celle du couple Ira Kaplan et Georgia Hubley qui étaient tous deux enfants dans les années 60 et pré-ados (en ce qui concerne Ira). Ils ont connu les acteurs Tom Courtenay et Julie Christie au sommet de leur gloire. Mais si le nom de Julie Christie est évoqué, celui de Courtenay, pas du tout. Et Kaplan chante du point de vue d'un personnage qui s'injecte de l'héroïne et revisite mentalement tout ça, peut-être pour une dernière fois. On y fait référence à une obsession pour Eleanor Bron dans le film Help! des Beatles et de nostalgie des années 60 avec un soupçon de sombres compulsions.
Christie & Courtenay étaient bons amis, jouant tous les deux ET dans Doctor Zhivago ET dans Billy Liar, deux grands succès cinématographiques des années 60.  Mais j'ai triché, je vous ai placé la version a acoustique chantée par Georgia. Que je préfère. L'originale est plus grunge (que je n'aime généralement pas du tout) et chantée par Ira Kaplan. Yo La Tengo est probablement l'un des bands les plus sous-estimés sur terre. Mais c'est beaucoup de leur faute. Ils me font beaucoup voyager.

2002
J'ai Demandé à La Lune
Indochine n'est plus en communion avec son époque depuis au moins 10 ans. Ils ont pourtant lancé trois albums. La chanson, esquissée en 1996, ne trouve pas satisfaction aux oreilles de Nicola Sirkis. Il l'avait commencée, avec son frère jumeau, mais celui-ci, décédé trois ans plus tard, Nicola oublie peu à peu de la retravailler. Il pense abandonner le morceau. Son producteur insiste. Il sent que la chanson a quelque chose. Il demande alors la collaboration de Mickaël Furnon, de Mickey 3D pour prêter main forte à l'incomplète pièce. Furnon compose aussi deux autres morceaux qui se perdront dans les studios.
Lors de l'enregistrement du morceau, Sirkis demande à la fille de son ami Rudy Léonet, Pauline, qui n'a que 8 ans, de chanter avec lui. Ce sera payant pour le groupe. Indochine renaît dans les radios populaires et accroche particulièrement les enfants. Furnon, habitant en face d'une école, restera abasourdi d'entendre ce qu'il avait composé, chanté par les enfants de l'école en face de chez lui, dans un cours de musique, alors que quelques mois auparavant, tout ça n'existait que dans sa tête. 

Ces chansons sont des choix tout ce qu'il y a de plus personnels.

Toutes disponibles sur mes listes de lecture.

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Parce que des enfants pas tellement doués pour l'expression francophone et frôlant la débilité pure se sont infiltrés sur ce site je me vois forcé de modérer les commentaires :)