(à F.F.)
Patricia avait de la buée qui lui sortait de sa bouche en ce matin frigorifique d'Amérique.
Il y a 10 ans, presque jour pour jour, un copain, son amoureux à l'époque, un artiste, l'avait amenée en voyage dans le Sud au soleil. Il avait trop d'imagination. Il ne vivait que pour les films. Les films qu'ils ne feraient jamais, mais surtout les films des autres. Patricia ne se rappelait pas dans quel film il avait probablement pêché son idée. mais son amoureux avait préparé une mise-en-scène à son insu.
Lui qui s'habillait habituellement en haillons avait choisi de porter un joli veston et un pantalon agencé sur une chemise blanche au 5ème jour de leur vacances. Il avait invité Pat à le joindre sur un rocher près de l'eau, TRÈS près de l'eau, un rocher DANS l'eau en fait, contre lequel de vives vagues venaient s'effondrer. Pat était vêtue en vacancière, linge plus près du kit de jogging et lunettes de soleil sur la tête. Elle était surprise de la tenue de son chum. Celui-ci avait secrètement filé sa caméra à un complice et Pat et lui seraient filmés pendant toute la manoeuvre.
Une manoeuvre que ne comprenait pas Patricia encore. Que faisait-il habillé ainsi? Que faisaient-ils tous les deux sur ce caillou presque dans l'eau? Après deux ou trois vagues dangereuses, L'amoureux a jeté un regard vers celui qui filmait. Afin de s'assurer que tout ça soit bien enregistré. Puis, fragile et nerveux mais souriant, il s'est agenouillé. la couette blonde se rabattant sur son front. Patricia n'eût pas le temps de réfléchir qu'une sévère vague était tout de suite venue les happer tous les deux, lui, plus pesant, restant relativement debout et ne tombant que deux fois sur les genoux, mais quand même traîné sur une distance d'une quinzaine de pieds, tandis que Patricia, pour sa part, beaucoup plus légère, tombait cul par dessus-tête, perdant ses lunettes, et étant traînée sur 20-25 pieds, s'éraflant les mollets, le coude et la joue. Après avoir recraché presque un demi-litre d'eau qu'elle avait avalé, Pat entendit son chum lui demander si tout allait bien. Oui, oui, tout allait bien, mais what the fuck? Qu'es-ce que c'était que cette connerie?
"Veux tu m'épouser, Pat?" lui avait demandé son chum dans ce moment surréaliste.
Pat était restée paralysée. De douleur en premier lieu. Son coude lui faisait très mal et elle pensait à ses lunettes perdues dans la vague en anticipant une autre qui viendrait les frapper. Elle se trouvait idiote aussi de ne pas avoir anticipé cette violente vague qui lui arrivait de face. Et là...ce chum habillé en comptable, lui demandait sa main? C'était trop à emmagasiner en un seul moment, bien qu'elle avait parfaitement compris, elle le fit répéter.
""Veux tu m'épouser? je te demande en mariage, Pat"
"Mais...mais Phil...on a en a jamais parlé...ça fait seulement trois mois qu'on se connait...c'est notre premier voyage..."
Le moment était gâché.
Le film sur la caméra aussi.
Les deux jours restants de vacances aussi.
Elle avait bien tenté de le rallumer dans l'intimité avec un kit sexy osé, mais rien n'y fit.
La relation allait s'éteindre presqu'aussitôt au retour en Amérique du Nord.
Où l'hiver avait semblé être nettement plus froid pour les deux petits coeurs arrivant du Sud.
10 ans plus tard, Pat était la même, ne paniquant jamais, toujours calme et posée, dans le ton comme dans le tempérament. Peu souriante. Ce qui rendait un sourire encore plus agréable quand il naissait sur ses lèvres. Elle était en couple, Avec Samuel. Depuis 4 mois. Un garçon stable. Barbu. Qu'elle appréciait même si il était parfois un peu éparpillé dans ses idées. Pat avait toujours eu un faible pour la marginalité Sam était gérant dans un club Vidéo, mais en parallèle, il avait aussi une passion pour le design et l'architecture. Il ne gagnait pas une fortune, mais avec Pat, et son salaire de fonctionnaire à elle, ils arrivaient à joindre les deux bouts dans le 4 1/2 nouvellement investi de leurs présences depuis 2 mois.
Pat était matinale. Vers 5 h du matin, elle était toujours réveillée. Elle allait promener le chien. Et ce froid matin de décembre ne ferait pas exception. Toutefois, Sam, qui se levait habituellement facilement deux heures après elle, allait être près d'elle ce matin-là. Il la rejoindrait dehors et lui demanderait le plus platement du monde:
"Pat...veux-tu m'épouser?..."
Elle cru à une blague.
Elle ria.
"Je suis sérieux Pat, veux tu devenir ma femme?"
"Non! Non! pourquoi tu me demandes ça...on commence à vivre ensemble en loyer depuis 2 mois...NON! pourquoi tu veux...nON!" Pat ne riait plus.
Seule de la buée sortait maintenant de sa bouche en ce matin frigorifique d'Amérique.
Sam était pétrifié. Glacé de honte.
Jamais elle n'avait un jour pensé à se marier.
Et surtout pas à se le faire demander.
Non! Ces moments n'auraient jamais dû se passer!
Pat était insultée, déçue.
Comment allaient être les mois qui viendraient sous le même toit?
Dans le même lit?
Était-il toujours unis par quoi que ce soit maintenant qu'elle refusait sa demande?
Leurs rapports seraient désormais teintés d'une sorte d'échec auquel on ne ferait jamais plus référence.
Et Patricia se laissait maintenant la porte ouverte à une aventure avec un autre.
Pour tenter d'effacer les échafaudages amateurs préparés maladroitement par ses ingénieurs solitaires qui ne pensaient jamais discuter les esquisses de plans avec la principale intéressée en premier.
Intéressée ou non...
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Parce que des enfants pas tellement doués pour l'expression francophone et frôlant la débilité pure se sont infiltrés sur ce site je me vois forcé de modérer les commentaires :)