Québec. 1985.
Nous sommes en plein été entre le secondaire 1 et le secondaire 2.
C'est dans un tout nouvel équilibre mondial que les adolescents que nous sommes viennent de tremper depuis un an. Le passage à la "grande école" nous as fait embrasser quelques filles. De nouvelles sensations ont été découvertes. De nouvelles amitiés. Du hockey compétitif, intense et ponctué d'émotions. C'est une grande année chez les enfants de la cuvée 1972, quoiqu'en pensent les baby-boomers qui foncent vers la quarantaine, quand il n'y baignent pas déjà.
À côté de notre école, il y avait, il y a encore, ce vaste terrain de soccer cerclé d'une piste de course. Au bout de ce terrain: l'aréna de Ste-Foy avec ses patinoires doubles et ce grand terrain derrière qui deviendra quelques 5 ans plus tard l'anneau Gaétan-Boucher. On traine souvent à l'aréna. Moi plus que les autres puisque je suis joueur de hockey dans une ligue et que mon père est instructeur à un autre niveau dans ce même aréna.
Dans cet aréna traine encore plus souvent que moi, Morille*. Son père est policier dans l'édifice qui est si près de notre école secondaire et de l'aréna que le stationnement en est presque conjoint. Morille est si souvent à l'aréna qu'on a des doutes sur sa vaillance scolaire. Il a deux ou trois ans de plus que moi. Il est gardien de but. Il a les cheveux longs dans le cou. Une très mauvaise peau d'ado. Il est non seulement joueur mais il se trouve si souvent à l'aréna qu'on lui a trouvé un poste de marqueur pour les matchs.
Ça lui a comme donné "un statut" dans nos têtes d'ados. Morille portait fièrement un manteau en cuir noir à frange en opérant les matchs. Si on vous avait dit qu'un membre de Mötley Crüe était marqueur du match, vous auriez regardé par deux fois pour vous assurer que ce n'était pas tout à fait vrai. Tout le monde le connaissait. Par tempéremment il jasait à tout le monde et on aimait lui tirer la pipe. C'était un bon-vivant. Un agitateur sympathique.
"Hey Morille tu nous as volé 10 secondes 'à la dernière game!"
"Vous auriez pas compté anyway, vous êtes trop poches!"
Mais en juillet 1985, on est loin de l'école ou du hockey. On est occupé à passer à la phase 2 de nos explorations adolescentines. Surtout celles avec les filles.
Dans la nuit du 3, chez Dépôt Dentaire Canada dans la parc industriel Jean-Talon, l'agent de police Serge Lefevbre est surpris par deux collègues qui répondaient à l'appel d'un système d'alarme. Serge Lefevbre volait. Et pas pour la première fois. Il était entré par effraction et quand Jacques Giguère (43 ans) et Yves Têtu (25 ans) le découvre sur place et le reconnaisse. Lefevbre panique, il était en train de se masturber et les tue en tirant dessus.
Les premiers secours arrivent et Lefevbre, habillé en policier, passe inaperçu puisqu'on croit qu'il est parmi les premiers arrivés sur les lieux. Il va même demander à un journalsite, manipulateur, "Mais qu'est-ce qui se passe donc ici?". Lefebvre quitte subtilement les lieux. Ce n'est que deux jours plus tard que l'information est rendue publique: l'assassin est un policier mais plus grave encore, il est en fuite.
Cette nouvelle a l'effet d'une bombe dans le village mais encore plus dans notre microsociété adolescentine. L'une de mes soeurs sort avec le fils d'un policier de l'endroit, Gargantua Krikofieff, Est-ce que ça pourrait être lui? Quand on apprend qu'on recherche Serge Lefevbre, on est saisi.
C'est le père de Morille...
Dans nos têtes de 13 ans, ça lui a comme donné "un statut".
Serge Lefevbre se cache sous une poutre du pont de Québec, a logé un appel de désespoir à André Arthur et se tire une balle dans le ventre. Ne voulant pas vraiment mourir, il survivra et est arrêté, puis condamné à la prison à vie, 25 ans, sans possibilité de libération conditionnelle. Lefevbre remercie la police de Ste-Foy pour son incompétence à son égard et à l'égard de sa famille.
On a plus jamais revu ni entendu parler de Morille.
Après 17 années exemplaires en prison, son père est libéré.
Il a récidivé plusieurs fois depuis et a été arrêté à nouveau, à Cap-Rouge jeudi dernier, accusé d'entrées par effraction et de multiples vols.
C'est un tout nouvel équilibre mental dans lequel Serge Lefevbre trempe désormais.
Morille, aujourd'hui trois-quatre ans plus vieux que son père quand il a été arrété, je ne sais pas si il s'en tire.
*Sa véritable identité a bien entendu été protégée.
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Parce que des enfants pas tellement doués pour l'expression francophone et frôlant la débilité pure se sont infiltrés sur ce site je me vois forcé de modérer les commentaires :)