J'avais réussi à éviter la belle du "faux passé" depuis un mois.
En arrivant très très stratégiquement en retard à tous mes cours du mardi, en discutant très faussement intensément avec d'autres élèves aux pauses, en posant des questions faussement intéréssées au prof, en me faufilant à la cafétéria, en feignant une conversation sur mon Iphone.
Mais là je devais faire face à la musique. À la pause, elle arrivait vers moi.
"Eille Bismuth! t'es un gars occupé! on dirait que tu m'évites!"
"Ben non, ben non, comme tu dis je suis pas mal occupé"
"Ah oui? tu fais quoi? hors des cours? Quand t'es pas à l'école?"
"Je...je...J'écris pour un grand magazine..."
"HEIN? lequel?..."
"Bah...à toi de me trouver...ce sera un petit jeu entre nous..."
"Hein sérieux? pour qui t'écris? je veux le savoir!"
"Pour le peuple"
"Ah t'es con! Écris-tu sous ton vrai nom?"
"N...noooooooooooooon...j'écris sous le nom de Madison McPhee...j'écris en anglais"
Le niveau de mensonges devenait étagé. J'étais Marc Bismuth, j'étais Madison McPhee tout en restant Hunter Jones. Et tout ça motivé par la luxure...pas chic, pas chic du tout.
"Aaaaaaah ben je lis pas en anglais!...je suis surprise d'ailleurs Marc, T'étais nul en anglais dans le temps, tu disais des niaiseries comme "you don't have to cut your hair in four for this" ou "It's tiguydoo".
J'étais à la fois ravi de savoir qu'elle ne me chercherait pas dans les magazines et à la fois déçu de constater que je devrai incarner un relatif crapet pour ses beaux yeux.
"Ben...ben...oui j'ai pris du gallon, après l'école secondaire je suis parti à Omaha pour un stage pis j'ai appris l'anglais sur le tas!"
"T'es allé à Omaha à cause du football?"
J'ai joué au football? Good.
"Oui, le Omaha College m'offrait une bourse pis..."
Pis le cours recommençait, j'étais sauvé dans mon improvisation.
"On prend une bière ensemble après le cours!" a-t-elle eu le temps de me lancer avant de quitter à sa place en classe, loiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin de la mienne (je ne m'assois pas à ses côtés pour me faire questionner davantage quand même).
Après le cours c'est dans un bar de l'ouest de l'île qu'elle m'a trainé. Je n'avais pas remarqué tout de suite car je n'avais de yeux que pour elle mais nous étions entourés d'asiatiques. Pas un seul visage sans yeux bridés. Même Vicky devant moi, je le remarquais soudainement avait les yeux légèrement bridés et ça faisait tout son charme. Elle me rappellait Amanda Seyfried.
"raconte-moi tout" a-t-elle lancé.
J'ai dû faire de mon mieux pour m'inventer un passé. Elle m'a beaucoup aidé en me parlant de ma relation "tellement romantique" avec une certaine Magali, en me parlant de mes amis Buck, Snoop et Potvin, en me suggérant des réponses là où je zézéyais, incertain et emmêlé dans les fils de mes mensonges dans un rôle que je ne maitrisais pas bien encore. Elle semblait séduite de voir un homme auparavant très en confiance, semblé soudainement timide devant elle. Pour sa part elle m'a raconté TOUTE sa vie, de son stage en Asie (vivre en Asie un temps peut-il nous donner des yeux bridés?) à sa relation avec Anthony (que j'étais supposé connaitre) "Ah oui! celui avec les cheveux là..." ai-je dis "OUI! a-t-elle dit spontanément en riant me laissant dans le désert de l'incompréhension (Les cheveux longs? blonds, noirs, roux? frisés? fuckés? comiques? j'ai pas insisté et j'ai souri comme une duchesse). Elle m'a parlé du divorce de ses parents, de son frère dans l'armée, de la fois où avec une fille, ben saoûle, elle se sentait si attirée que...là j'ai insisté et j'étais très attentif mais elle n'a pas voulu en dire plus.
Je sais que je parais plus jeune que mon âge mais selon ce que je comprenais, si j'avais été à l'école en même temps qu'elle, je devais jouer le rôle d'un gars de 15 ans plus jeune que mon âge véritable!!!
J'ai été particulièrment habile en disant que "ça faisait si longtemps que c'étais comme si on se rencontrait pour la première fois."
Nous étions si investis l'un vis-à-vis l'autre que je ne remarquai que très tard (et très saoûl) que ce que je croyais être une radio entre deux fréquences était plutôt une scène de karaoké avec quelques tristes amateurs de la chanson qui se relayait au micro.
Elle remarqua que je remarquai la musique (si on peut appeler cela comme cela). Elle me demanda:
"Tu chante tu encore?"
Le Marc Bismuth que j'incarnais étais un chanteur?
Oui ai-je dit sans mesurer pleinement les conséquences de ma réponse.
"Tu chantais seulement du Sardou dans le temps mais maudit que tu chantais bien, pis si t'as appris l'anglais t'as du apprendre à chanter en anglais aussi?"
Ah Bismuth était gai dans le placard.
On annonça un nom au micro qui fit rigoler Vicky.
"Je me suis fait plaisir et je t'ai inscrit au karaoké tantôt en me rendant aux toilettes. Je t'ai inscrit sous le nom de Nathan Dontwé, j'ai toujours rêvé d'avoir un chum au nom romantique de Nathan, j'espère que tu m'en voudra pas trop" elle fit signe du doigt au DJ pour lui faire comprendre que le Nathan en question c'était nous.
Charmé d'être l'objet de ses fantasmes et guidé par la loi du pénis je me suis donc dirigé vers la scène où on avait nommé un nouveau personnage que je devais jouer. J'étais Marc Bismuth, Madison McPhee, Nathan Dontwé et un très diffus Hunter Jones. Si ça m'amenait dans ses draps j'étais prêt à être tout ça. Sardou aussi si il le fallait.
Je suis monté sur scène avec la confiance d'un quart-arrière de l'Université d'Omaha un dimanche après-midi sur le terrain, ce que j'étais supposé avoir êté après tout, et j'ai considèré un instant piéger à mon tour la coquine et la forcer sur scène pour m'accompagner dans une morceau qui serait un duo. J'ai choisi une chanson que je chante dans ma douche avec beaucoup de succès.
Mais ce devait être l'alcool, la fatigue ou tous ses yeux bridés qui me regardaient en souriant, rare blanc à se risquer dans leur temple, reste que je me suis trompé et ai composé 525 au lieu de 252 et fût forcé de chanter soudainement REO SPEEDWAGON.
Les premères note de piano ont semblé faire plaisir à tous mais je leur pêtais leur balloune big time très très aussitôt.
Une voix dangereusement homosexuelle, que je ne me reconnaissais pas, est sortie de ma gorge en soudain manque de whisky. Moi qui chante en général sur le registre de Courtney Taylor-Taylor me voilà en train d'essayer d'atteindre le pitch de Ké. J'ai comme vécu un blackout de 4 minutes 43. Surtout quand j'ai vu tous ses sourires et fou rires asiatiques cachés derrière les teléphones intelligents et Ipods qui semblaient immortaliser le son pour le musée des horreurs. Ou pour des tortures dans les conflits futurs.
Je me suis imaginé mort et ça me semblait moins tragique. Si un seul de mes amis avait été sur place j'étais battu pour mon crime contre l'humanité.
Quelques filles pleuraient, quelques hommes auraient voulu me frapper, je l'ai vu dans leurs yeux. J'ai entendu quelqu'un souffler le verbe "Kill" lors de ma marche de la honte vers la table déserte d'une Vicky en pamoison. Elle n'était plus du tout à la table en fait.
Sur une napkin étaient écrit les mots "Ta chanson te trahis en plus! Pense tu que je le voyais pas que tu pensais juste à me baiser?"
Ouaipe. Elle avait raison.
C'était pas Bismuth mais Bizoune.
Soirée de cul sans cul bientôt sur Youtube.
Mardi prochain je ferais autre chose que de me rendre au cours.
Des vocalises peut-être.
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Parce que des enfants pas tellement doués pour l'expression francophone et frôlant la débilité pure se sont infiltrés sur ce site je me vois forcé de modérer les commentaires :)