mercredi 16 mars 2011

En Terriffiant Territoire

Je ne crois pas qu'il y ait plus déstabilisant que de lire du JG Ballard sur fond de Japon apocalyptique dans une salle d'attente d'une clinique privée en attente de bonnes ou d'atroces nouvelles.

C'est là que je me trouvais lundi dernier, dans un espace mental que je ne souhaite à personne.

Depuis le lundi soir 28 février, 21h43, la belle et moi sommes dans une zone perturbée. qui fait valser les humeurs selon les heures. Nous tentons de masquer le tout entre amis mais les plus subtils remarqueront qu'il y a des vagues-à-l'âme, des moments d'innatention dans nos conversations. Comme si notre couple battait de l'aile penseraient peut-être certains.

C'est que ce lundi noir là, à 21h43 je le répète, le téléphone a sonné chez nous. Le docteur demandait à l'amoureuse de se rendre à l'hôpital prochainement afin d'évaluer les quelques taches qu'elle avait sur le sein droit, d'y amener ses mammographies et gnagnagna.

"Il n'y a pas de raison de s'inquiéter, ce n'est peut-être rien".

Alors pourquoi appeller à 21h43 alors? ai-je demandé à la belle légèrement énervé puisque dans ma tête, seul un docteur paniqué de résultats X demanderait si tard un lundi soir de consulter un docteur Z afin de s'assurer qu'il n'y ait pas de Crabe.

Sa grand-mère est décédée de la sale chose, inutile de vous dire que nos nuits sont courtes depuis.

Surtout que pour passer par la voie dite "gratuite", il y a deux mois d'attentes pour la simple prise de rendez-vous. Additionné d'un autre deux semaines avant que son docteur puisse en faire la recommandation et le transfert des dossiers puisqu'après avoir laissé tomber sa bombe chez nous, elle est partie en vacances et que, semble-t-il, aucun assistant ne pourrait faire le suivi, ni même prendre ses messages. Comme il était impossible de parler à quiconque à l'hôpital, laissant un message et se faisait rappeller trois jours (d'angoisse) plus tard pour se faire dire tout ça, nous avons été poussé lentement là où ils veulent tous nous voir d'ici 25 ans: le privé.

"Son nom est juif, chérie. Ce ne peut qu'être bon signe" lui ai-je dit. On a essayé de se faire rire tous les deux ce drôle de lundi mais bon, la tête était ailleurs.

J'étais le seul homme sur place. Même que pour aller à la toilette j'ai dû descendre deux étages plus bas, l'étage comptant 4 toilettes pour femmes seulement. Quand je suis revenu, la belle n'y était plus. Quelle épouvantable vision métaphorique que de voir son amoureuse disparue après l'avoir laissée seule 5 à 6 minutes. Le plus horrible frisson de ma vie m'est passé sur le corps. On l'avait appellée. Elle était dans le bureau avec le docteur Greenberg.
"Reste pas si tu veux, perds pas ta journée, va te promener je t'appellerai au besoin"
J'ai été marcher dans les rues de la ville que j'aime tant. La Saint-Patrick approche, le McKibby's était ouvert. Un Irlandais sait en reconnaître un autre, on a ouvert la porte et on m'a fait entrer. J'ai enchainé plusieurs bières. Même si il était 9h45 du matin. J'attendais que mon téléphone sonne. Étais-ce légal de servir de la bière à cette heure? Le serveur a lu la question dans mes yeux il m'a dit:
"We all know it's a special brand of coffee right?, this is no beer"
"Sure ain't, Fabulous coffee by the way, swing two more over here please"

Quand elle m'a appellé, je sentais l'inquiétude dans sa voix.
"T'es tu dehors?"
"Oui juste en bas, je peux arriver tout de suite, ça va?"
"Je passe aux échographies... y a quelque chose"
"Quelque chose?...quelque chose de grave?"
"Je le sais pas, il me dit pas grand chose"
"Je peux tu être avec toi là où tu es?"
"Non je suis comme dans un entrebureau du bureau, attends que je te rapelle"

Je suis quand même retourné sur place. Beaucoup plus de monde cette fois. Quelques maris accompagnateurs aussi. Deux bébés. Une femme à côté disait à une autre qu'elle avait payé deux fois 850$ mais maintenant, elle était hors de danger. Elle venait cette fois pour la prévention de la sclérose en plaques, courante dans sa famille. Je savais que l'on paierait une beurrée mais au moins on resortais le jour même avec une certaine idée qui nous empêcherait "de ne pas nous inquiéter" entre deux attentes de retour d'appel.

C'est fou ce que ça peut être éternel une salle d'attente quand on angoisse. Encore plus quand on voit des gens, arrivés après nous, quitter avant avec un sourire et qu'on attend toujours des nouvelles de sa douce. Je l'ai vu passer au loin, le temps que je me lève et la ratrappe mon téléphone vibrait dans ma poche et elle me voyait en raccrochant du téléphone de l'endroit d'où elle m'appellait. Elle ne souriait pas mais semblait détendue.

Je l'ai longtemps regardé, avec toute l'anticipation malsaine dissimulée dans un noeud de ma gorge.

"Ca va, c'est quelque chose de fibreux, je le revois dans 6 mois"
"C'est rien?" ai-je demandé avec une violente envie de conclusions hâtives.
"C'est pas rien, je serai suivi et dans 6 mois ils regarderont comment ça a évolué, ce sera peut-être rien mais pour l'instant, ce n'est pas encore rien"
"C'est 6 mois, je vois mon propre médecin au 6 mois et je n'ai rien de grave...si c'était grave ou douteux on t'enverrais tout de suite ou dans un mois ou dans deux ou dans trois...."

On a tous deux perdu une enclume de nos épaules. On a mis un pied hors du corridor de la peur. La tête surtout. Le haut du corps aussi. Jusqu'au 15 septembre.

À 13h09 nous étions claqués comme si revenions de trois guerres.
Mais des guerres que nous aurions gagnées. Que nous gagneront toujours.

Vous savez le titre de la nouvelle de Ballard que je lisais?
Zone of Terror

We'll never get in that zone again.

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Parce que des enfants pas tellement doués pour l'expression francophone et frôlant la débilité pure se sont infiltrés sur ce site je me vois forcé de modérer les commentaires :)