vendredi 11 décembre 2009
Le roi Fela
Son nom de famille-Kuti- voulait dire "qui ne peut être tué par la main de l'homme"
Et pourtant on aura tout essayé. C'est sa misogynie qui le tuera.
En 1958, Fela Kuti s’envole pour Londres pour des études. Mais au lieu d'étudier la médecine comme ses deux frères l'avaient fait avant lui, il choisit la musique. Très influencé par le jazz qui vit ses heures de gloire, il forme un groupe avec des amis nigérians et antillais, le Koola Lobitos. Dans des cafés, le groupe reprend quelques classiques de jazz en y ajoutant une pincée de high-life, alors en vogue en Afrique, le continent d'origine de Fela Kuti.
C’est en 1969, lors d’une tournée aux États-Unis que sa vie change. Il rencontre une militante noire des Black Panthers qui lui expose les idées de Malcolm X. De retour au Nigéria l’homme n’est plus le même. Il commence par changer le nom de son groupe : exit Koola Lobitos, viva Africa 70. Il décide d’imposer un rythme moins jazz et plus proche des rythmes africains : l’afro-beat est né.
Désormais Fela ne chante plus en langue yoruba, mais en langue pidgin, de manière à être accessible à une bonne partie du public africain. Il se convertit à l'animisme et prend le redoutable patronyme d'Anikulapo — celui qui porte la mort dans sa gibecière. Il multiplie les discours enflammés décriant la corruption et la dictature omniprésente sous une impressionnante orchestration rythmique assurée par de puissantes percussions, des cuivres envoûtants, très souvent ponctuée de grandes envolées au saxophone. Son succès est foudroyant. Bien que censuré par les médias d’Etat, il collectionne les hits en même temps que grandit sa popularité. Mais il a des difficultés pour se produire avec ses musiciens sur scène, l'accès à certains clubs lui est refusé, il force la main à certains bars, chauffe ses supporters et harangue ses ennemis très publiquement.
Alors que le Nigeria connaît un véritable boom pétrolier, une fracture sociale s'amorce entre, d’un côté l’élite corrompue qui en profite, et de l’autre la grande majorité d’anciens paysans qui, attirés par le mirage pétrolier ont déserté leurs champs pour tenter leur chance dans la ville de Lagos. La musique de Fela Kuti est le cri de cœur de ces millions d’exclus qui ne veulent pas mourir, le cireur de chaussures ambulant ou le boy souspayé chaque mois. Les journalistes et les artistes présents dans la capitale nigériane mangent dans la main de ce rebelle qui critique ouvertement l’establishment corrompu. Aussitôt les articles et les reportages sur l’homme affluent des médias américains et européens. Pour le conseil militaire du Nigeria la décision est prise : fermer le clapet à cet agitateur qui ignore — contrairement aux autres chanteurs africains — le culte des chefs.
Le petit peuple des ghettos a trouvé son héros, celui qui dénonce les bassesses de la haute société et fait trembler les puissants. Mais très vite, il va s’attirer les foudres du pouvoir militaire qui supporte très mal ses satires qui le tournent en ridicule. Fela est plusieurs fois jeté en prison, torturé. Sa résidence baptisée Kalakuta Republic est saccagée dans une opération commando en 1977 au cours de laquelle sa mère âgée de 78 ans est tirée par la fenêtre du troisième étage — elle succombera quelques mois plus tard des suites de ses blessures et son cercueil sera exposé devant le palais du général au pouvoir pour que le message soit compris du peuple.
Kuti intente une action judiciaire contre les autorités qui se solde par un non-lieu, le coup étant imputé à « des soldats inconnus au bataillon ». À sa sortie de prison, il est harcelé par la police et doit se résoudre à s’exiler au Ghana. Il en est chassé l’année suivante pour avoir soutenu une violente manifestation d’étudiants qui ont trouvé en : « Zombie, oh zombie…» leur cri de ralliement contre la junte du dictateur local.
De retour au Nigeria, il est un Dieu pour le peuple. Ça lui monte à la tête. Infatigable masculiniste, il épouse les vingt-sept femmes (!!) de son groupe et se remarie avec sa première épouse dans une cérémonie vaudou. Il consomme beaucoup de drogue et baise toutes celles qui s'offfrent.
Les tournées qui le mènent un peu partout en Afrique, en Europe, aux États-Unis, rencontrent partout un accueil triomphal et lui confèrent une notoriété mondiale. Désormais doté d’un matériel ultra-moderne, il est au sommet de son art, comme en témoignent le brio des titres comme Sorrow tears and blood, S(h)uffering and s(h)miling ou Everything scatter. De fait il devient le premier chanteur africain à réaliser une remarquable percée dans la World music ouvrant la voie aux artistes d'aujourd'hui.
Il fonde un parti politique ne 1979 et tente sa chance aux élections en 1983. Mais le chemin vers la présidence est enrayé lorsqu’en 1981, les autorités l’enferment pour possession de cannabis. Il est de nouveau arrêté à l’aéroport de Lagos pour exportation illégale de devises qui n'est qu'un prétexte pour le coffrer 5 ans en prison. Le juge Nigérien avouera plus tard avoir subi des pressions gouvernementales.
Il est libéré en 1986 mais il est brisé. L'emprisonnement de son frère président de la Ligue Nigériane des Droits de l'Homme, le laisse sans réaction. Les mauvaises langues le disent fini. Kuti se bat depuis des mois contre le Sida, la maladie affecte d'autant plus gravement son corps que les nombreux sévices subis en prison l'ont affaibli.
Il s'éteint finalement le 2 août 1997, laissant derrière lui un immense vide.
La nation entière pleure la mort de son héros. Les autorités militaires qui l'ont pourtant impitoyablement réprimé avouent lâchement avoir perdu « l'un des hommes les plus valeureux de l'histoire du pays ». Ils décrètent quatre jours de deuil et proposent même de lui organiser des funérailles nationales. Près d'un million de Lagossiens descendent spontanément dans les rues pour lui rendre un dernier hommage et l'accompagner dans sa dernière demeure.
Kuti nous aura laissé 46 albums, dont 31 dans la seule décénnie des années 70.
Et aura incarné l'afro-beat à lui seul.
Le réalisateur anglais Steve McQueen (pas l'acteur (mort) des années 60/70) tournera un film sur l'influent et coloré bonhomme basé sur le livre de Michael Veal Fela: The Life And Times Of An African Musical Icon.
J'ai hâte.
"J'ai hâte."
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