dimanche 7 mai 2023

Big Shot

Quand votre téléphone sonne et que vous ne reconnaissez pas le #, que faites vous ?

Bien entendu, vous ne répondez pas. Vous le laissez filez vers votre boite vocale.

Pas moi.

Pourquoi me direz-vous? Je ne sais pas. Opportunités. Possibilités. Shakira qui m'aurait retracé et qui voudrait à nouveau me rencontrer. Peau contre peau. Nouvelles réalités. Chances à prendre.

Quand je reviens de travailler, en voiture, il est toujours entre 15h00 et 16h20. Habituellement je mets de la musique et ça me suffit pour me garder allumé. Mais depuis plus un mois, peut-être deux, ma vidange de voiture est échue et comme mon fils est au Costa Rica, j'empruntes la sienne. Sur laquelle il est plus compliqué d'y mettre ma musique. Comme mes journées commencent à 5h00 du matin, et que le trafic est généralement lourd, je lutte très fort contre le sommeil sur le chemin du retour. Dangereusement. Depuis une semaine. Alors jeudi, quand un appel de New York a sonné sur mon téléphone, j'étais beaucoup trop content d'y répondre afin de garder mes neurones en action. J'ai répondu sur l'haut-parleur.

"Hello!"

"Hey Bruce! (ça se passera entièrement en anglais, je suis parfait bilingue, je ne vous l'impose pas, je traduisQu'est-ce qui se passe avec toi ?"  

Je ne suis pas Bruce, je suis Hunter, mais voilà, je décide que je serai Bruce.

"BAAAH! Pas grand chose, je suis dans la voiture, et toi ? qu'est-ce qui se passe de bon avec toi, man ?"

"Je vais te dire ce qui se passe mon ami, je viens de recevoir un couriel sur le budget, c'était supposé être 15 000$ c'est maintenant 10 000$, j'aimerais justement savoir ce qui se passe?!"

O.K.. Là je suis concentré. Mon nom est Bruce. Il y a un budget de 15 000$. Devenu 10 000$. Focus. Personne n'est content, que dire ensuite? Relancer par la répétition:

"10 000$ ?? c'est supposé être 15 000?"

"Ouin bin là je viens d'avoir un couriel c'est tout à fait 10 000!"

"Je ne sais pas quoi te dire, je suis sur la route, je n'ai pas lu ce couriel..."

"ES TU CELUI QUI EST DERRIÈRE TOUT ÇA ? T'AS APPROUVÉ CE BUDGET ?"

J'ai choisi de donner un peu de dents à la personnalité de Bruce:

"Écoutes Bro, le budget était de 15 000$. On a eu quelques excès de frais qui l'on fait monter à 16 200$. J'ai travaillé dessus, on est redescendu à 14 700$. On avait 300$ de lousse, j'ai arrondi à 15 000$, j'ai envoyé"

"OUIN BIN LÀ C'EST 10 000$!"

J'étais à la fois inquiété par la conversation et ravi que je sois capable de l'enfariner comme ça.  Focus, Jones, Focus. Le gars au bout de la ligne a enchainé:

"EST-CE QUE LARRY A VALIDÉ CECI ?"

Il m'a lancé "Larry" j'ai saisi au bond telle une star du basketball.

"Écoutes, j'ai amené la chose à Larry qui m'a dit que tout était ok. Mais je savais que je devais me protéger alors je l'ai fait lire à Jennifer aussi. Juste au cas. Elle a aussi dit que tout lui paraissait bien, j'ai envoyé"

"OUIN BIN LÀ C'EST 10 000$!"

Il ne dérougissait pas. Mais je réalisais du même coup qu'il ne savait rien sur rien. Il n'avait pas parlé à Larry, il n'avait surtout pas parlé avec Jennifer, je venais de l'inventer ! et il ne s'inquiétait pas de savoir c'était qui. Je parlais à un gros bonnet. Clairement, il ne parlait pas plus...à Bruce. Sur un ton plus civil il a ensuite dit:

"Alors qu'allons nous faire à propos de tout ça ?"

Je l'ai joué cool. 

"Bro, je suis sur la route, je n'ai pas lu le couriel, pourquoi n'appelles-tu pas Larry, regardes avec lui ce qui se passe, rappelle-moi ensuite..."

Il est redevenu fâché. C'était un big shot à qui on ne disait pas quoi faire.

"NON, TU TE RENDS CHEZ VOUS, TU LIS LE COURIEL, TU APPELLES LARRY ET TU ME RAPPELLES!"

J'ai eu du front.

"Larry sait beaucoup plus que moi ce qui se passe, vérifies avec lui"

J'ai réussi à renverser. Il a accepté. A raccroché. 

YES! J'étais très allumé. J'explosais d'euphorie. Une compagnie de New York était en train de capoter autour de 5000$, personne n'avait parlé à Larry, personne ne trouvait Bruce si ils pensaient que c'était moi, et personne ne savait qui était Jennifer. Excité j'étais. J'arrive à la maison, je raconte à l'amoureuse, à des amis, j'écoutes le hockey des séries éliminatoires, Toronto perds, la vie est belle. Un jour, deux jours, trois jours. je pousse même l'audace jusqu'à sauver son # de téléphone dans mes contacts sous  "Big Shot", Je le rappellerais peut-être afin de savoir où est-ce qu'on en étais. J'étais dedans. 

Mais après trois jours, très occupé (mentalement aussi) ailleurs, j'avais un peu oublié Big Shot. Il m'a rappelé entre la première et la deuxième du 2ème match Toronto/Floride. Sur appel conférence. Je suis un peu inquiet. Je suis chez moi. Peuvent-ils me géolocaliser ? J'ai le réflexe de leur parler sur haut parleur. Créer de la distance. Je suis moins dedans.

"Hello?"

C'est le même gars, je reconnais sa voix.

"Hey Larry, comment ça va ?"

(...)

Maintenant il pense que je suis Larry. Je prends un ton très subtilement différent, une voix de Larry, presque nasillarde.

"ÇA VA, ÇA VA, T..TOI?""

"O.K. je suis avec Janelle et Marie..."

Allais-je reculer face à Janelle et Marie? Franchement, non. J'y vais donc coooool-a-rama:

"HEY LADIES! BIENVENUE DANS L'APPEL!" je suis avenant, Prêt à payer la première tournée.

Marie doute. Elle commence:

"Il...il est quelle heure, là où tu es, Larry?"

Très vite dans ma tête: OKNewYorkmêmeméridienmêmeheure.

"17h30, comme chez vous!"Où devais-je donc être ?

"Fais-t-il beau, là où tu es ?" a renchéri Janelle. 

"La météo est correcte, il fait ni chaud, ni froid..."

"C'est bizarre t'as pas la voix de Larry..." a dit l'une d'elle.

"Ah oui ? J'ai la voix de qui d'abord ?"

Big Shot se mèle de la partie:

"BRUCE! T'AS LA VOIX DE BRUCE !"

Il menace de tout faire dérailler. Mais faire dérailler quoi ? Quel train je conduis ? Je confesse.

"O.K. vous ne parlez ni à Larry, ni à Bruce...je ne suis qu'un gars de Montréal qui avait juste envie d'avoir du fun..."

Marie n'avait aucun fun. Elle s'est fâchée.

"On est une petite entreprise, on travaille très fort, vous pensez que c'est une blague tout ça ? Vous aimez ça niaiser les petites entreprises ?"

J'ai pensé "tout à fait" l'ai peut-être même dit, mais en français, ils n'ont pas compris. Je me suis aussi senti un peu coupable. Je suis un homme bon, dans le fond.

Marie a commencé:

"Laisses-moi te dire quelque chose..." a commencé Marie, mais je l'ai coupée:

"NON LAISSEZ-MOI TE DIRE QUELQUE CHOSE!"

Ils ont été surpris de mon impulsion mais quelqu'un a dit : "Quoi?" j'ai demandé sur un ton plus courtois, calme et poli:

"Où...où en sommes nous avec le budget ?..."

J'ai raccroché, ouvert une bière, savouré la défaite de Toronto.

Jeté quelques regards sur mon téléphone de temps à autre. De loin.

Effacé Big Shot de mes contacts.

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Parce que des enfants pas tellement doués pour l'expression francophone et frôlant la débilité pure se sont infiltrés sur ce site je me vois forcé de modérer les commentaires :)