dimanche 6 octobre 2019

Jokers

Reçu la visite d'un ami ce week-end, le temps d'un soir, le temps d'un spectacle en ville, ami qui devait retourner aussi vite dans le 418, le samedi matin.

Car en soirée, il avait des retrouvailles de son ancienne école primaire.

Il m'a envoyé une formidable photo de sa 6ème année que je me permets de rediffuser ici.

J'ai été doublement ému de cette photo. Premièrement parce que je connais autour de 18 de ses personnes, dont au moins 6-7 que je fréquente toujours de nos jours. Puis, parce que les retrouvailles du primaire me semblent tellement différentes de celles du secondaire.

Au secondaire, on cimente un noyau qui fera de nous l'Homme ou la Femme que nous serons un jour. l'Homme qu'on sera presque demain. Au primaire, nous sommes nettement plus innocents. Nous ne sommes que tempérament. Sur cette seule photo j'ai passé et repassé mes yeux sur plusieurs visages que je connais, et ce que j'apprécie davantage c'est le manque de perfection de la photo. Un tiers (surtout des filles) sont prêt(e)s pour la prise de photo. Un autre tiers est "ailleurs", standing on the edge of some crazy cliff. Un dernier tiers est en parfaite insolence, saisi en attitude de désoeuvré, trop souriant ou tout simplement surpris entre deux pulsions. Nous étions sans maquillage encore.

Plusieurs de ces jeunes têtes sont de vrais frères pour moi de nos jours.

J'ai connu tout ce monde, une fois au secondaire. quand les bons masques et les mauvais se sont mélangés. Quand tout le monde allait porter un masque pour toujours.

Les idées d'un adulte sont rarement à la hauteur des visions, et de l'effroi d'un enfant, dit-on. Dans les yeux de ces enfants, je lis tout. Effroi, incertitude, bohème, fatigue, fierté, fougue, bagout. Certaines des personnes que j'ai ensuite connues au secondaire changeaient soudainement de stature mentale au contact de cette photo.

Tu as été cette personne. Formidable.

C'est toujours étrange comme le temps, le passage du temps, a un drôle d'effet sur notre personne. Je connaissais tant de ces gens qu'un d'eux m'a demandé si j'allais y être. Comme si j'avais fréquenté leur école. Je n'y avait pas ma place.

Ça m'a placé dans un drôle d'état rétro. En faisant l'épicerie, c'est un album de 1982 que j'allais écouter sur mon téléphone, dans mes écouteurs. Sans autre raison autre que cette inconsciente évocation de cette époque naïve et spontanée.

Sur le chemin de l'épicerie, j'étais tant dans un esprit mental de mes 12 ans, qu'en croisant une entrée où une voiture il y avait un caisse de Petrus dans le coffre arrière, laissée sans supervision, et j'ai eu le réflexe de vouloir en piquer deux trois au passage.

Ça m'a aussi fait revisiter mentalement un moment où la moitié de ses gens étaient en ma compagnie un soir de 1989.

Nous étions tous allé assister à un match de basket féminin de notre école où le spectacle allait principalement être dans les gradins. Nous connaissions bien pas mal toute l'équipe de filles sur le terrain qui comprenaient des filles de secondaire 4 et de secondaire 5. Nous étions investi de la mission inconsciente de créer de l'ambiance, et de la mission très consciente de déployer nos ego afin de charmer certain(e)s de nos voisins spectateurs.
Il y avait du lourd croisé de testostérone et de phéromones, nous avions tous 15-16 ans. Peu de temps après la 6ème année pleins de tempérament et avec tout autant. Dirigé différemment.

Quelqu'un du band scolaire avait apporté sa trompette dans la foule. Plusieurs avait tenté d'intimider verbalement le club adverse, mais personne n'avait encore pensé utiliser la trompette de Vincent Pourcentpartou. Lui, restait dans son coin, timide. Avec sa trompette dans son étui. J'avais alors choisi d'aller le voir et de lui emprunter, avec son consentement, sa trompette. Et afin de séduire A.P. dans la foule, qui s'amusait ferme de nos singeries, j'étais descendu au plus bas des gradins, plus près du terrain de basket, ayant déjà moi-même joué de la trompette quelques deux ans avant, afin de faire sonner quelques notes déconcentrantes pour l'équipe ennemie.
Ma seule descente, trompette en main, avait fait entendre quelques rires anticipatoires sur ce que j'allais faire. J'ai mis l'instrument en bouche, prêt à jouer la charge de l'armée civile, et j'ai soufflé plein poumons:

"pruit!"

Les rires ont tonné. Cette fois, de ma misère.

J'ai réessayé trois autres fois, puis trois autres fois encore, toujours le même pruit! risible et plus prêt du pet que de la symphonie militaire.

La honte. Je ne me rappelle pas comment je m'en suis sorti car j'ai dû quitter la scène la tête plus creux dans la terre que celle d'une autruche, mais je me souviens que tout le monde riait. Probablement à mes dépens aussi. J'avais tout oublié de mon talent de secondaire II.
Ce qui m'a sauvé c'est que plusieurs autres ont senti le besoin illico de relever le défi et personne n'a réussi à faire mieux. Le show n'étant plus du tout sur le terrain.

Vincent Pourcenpartou, une bolle dans tout ce qu'il entreprenait, est venu réclamer son instrument qu'il sentait devenir objet de ridicule et nous as tous montré comme jouer en jouant du parfait Louis Armstrong. Nous étions maintenant loin de l'insulte à l'adversaire avec Potato Head Blues, c'était devenu juste...beau. Et l'arbitre nous a vite rappelé les règles d'expulsion si on ne respectait pas le décorum du match.

Mon initiative de trompette avait fermé les gueules. Et mes chances avec A.P. étaient noyées. Le match suivant, il y aurait des agents de sécurité dans la foule, un peu comme il y a en ce moment des policiers pour accompagner et "surveiller" les spectateurs dans les présentations du film The Joker, aux États-Unis.

On agit de la sorte car lors de la présentation de The Dark Knight Rises, en 2012, un désaxé était entré dans une salle projetant ce film, et sous l'emprise de la folie inspirée du Joker, il avait tué aveuglément 12 innocents, à Aurora, au Colorado. Il y avait aussi eu 70 blessés et plusieurs, sinon tout le monde avait pensé à un coup de publicité entourant le film avant de comprendre l'horreur en jeu.

Les Jokers que nous étions en 1982 et ceux de nos jours sont bien différents.
Et celui de Joaquin Phoenix et Todd Johnson dérange beaucoup en ce moment.

Je préfère l'innocence de 1982, 1983, 1984 à l'ombre anxiogène de nos jours.

Je pensais à tout ça et à eux dans le 418,
cuvant deux trois bouteilles de Petrus....

Écoutant S.O.L. Blues.

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Parce que des enfants pas tellement doués pour l'expression francophone et frôlant la débilité pure se sont infiltrés sur ce site je me vois forcé de modérer les commentaires :)