mardi 15 mars 2016

Roger Tabra (1949-2016)

"Écrire, c'est éjaculer la mort"
              -R.T.

J'aimais beaucoup Roger Tabra.

Il se décrivait lui-même comme une vieille charogne.

Si Roger a toujours fait plus vieux que son âge, c'est que sa peau en avait vu d'autres. Il a usé plus vite que prévu. Il a usé aussi de toutes les substances dans sa vie, et savouré tout ce qu'il y avait de plus épicurien. Il avait non seulement Serge Gainsbourg en grande admiration, mais il en avait presque la bouille. Il en avait aussi un peu la voix. Il ferait le même métier que lui, en suivant les pas de Gainsbarre jusque dans le style de vie.

Né à Strasbourg d'une mère d'origine allemande et d'un père ouvrier Berbère chaouis, Roger sera l'ainé d'une famille de 7 enfants. Dès ses 14 ans, il bosse à l'usine. Mais si il ne va plus à l'école, il reste assoiffé de savoir. Il se met au défi de lire un livre par jour. Il est aussi fana de musique. Il tombe en amour avec les mots.

Il vit en Algérie à Aurès plusieurs années. Il apprend l'arabe et s'intéresse à la politique. Mais sa vraie passion sont encore les mots. Et il vit en poète bohème. Il gagne un concours de poésie à la radio et quand il va le lire en ondes, on lui offre la co-animation d'une émission car sa voix est suave et intéressante. Il finit même par remplacer l'animateur principal. Il n'a alors que 19 ans !

Il devient régisseur de la première édition du Festival Panafricain où il y croise Nina Simone, Archie Shepp, René De Pestre, Amilcar Cabral, Myriam Makéba et Stockeley Carmichael.

Il revient en France et y retravaille comme ouvrier, mais surtout, il vit sur le pouce et vit de toutes les expériences ludiques possibles. Ses histoires sont moralement peu racontables. Roger mord dans la vie de sa mauvaise dentition. Un publicitaire est séduit par le timbre de sa voix et l'engage pour enregistrer des promos sur le cinéma à la radio. Roger rédige aussi des chroniques sur le cinéma en parallèle. Il vit libre. Il vibre.

Comment fixer à tout jamais les nuits d'exils et le décompte des heures. Le temps que ça nous as pris. Que ça nous as pris. 
Le coeur y crie sa croisade. C'est une valse. Un lit défait toujours à refaire, toujours défait. Le mensonge y noue son linge aux ongles de la vérité. écrira-t-il plus tard dans son unique livre (auto-bio d'un moment de rupture dans sa vie) La Folitude.

Il s'occupera de boîte à chansons et vivra de tous les vices la nuit, tout en bossant comme ouvrier de jour. Un ami envoie à son insu sa photo à une agence et il est engagé quelques centaines de fois comme figurant dans des films. C'est à partir de 1984 qu'il commence à tenir un journal. Ne serais-ce que pour écrire tous les jours.

Tabra était un homme libre et avait le coeur d'un amoureux. Il carburait aux mots, à la musique et au cinéma. Facile de trouver pour moi des atomes crochus avec le vieux bourru au coeur tendre.

Il a 43 ans quand il atterrit au Québec. Il vit d"amour et d'eau fraîche avant de composer pour un jeune chanteur de Pointe-Aux-Trembles. Il signera deux albums pour Eric Lapointe, dont une chanson qui m'affecte en tout point et grâce à laquelle j'aurai toujours un éternel respect, envers Tabra pour les mots et la compréhension de ce qu'est l'intensité, et Lapointe pour cette seule interprétation: Loadé Comme un Gun.

J'ai moi-même, le coeur loadé comme un gun depuis si longtemps...

Ce sont plus de 300 chansons que Tabra écrira pour les autres. Johnny Halliday, Luce Dufault, Dan Bigras, Ginette Reno, nommez-les ils seront nombreux à s'arracher ses mots.

Tabra se commet lui aussi, dans le plus pur esprit Gainsbourien. En 1996. J'en suis alors à ma 4ème année à Montréal et je travaille pour un magasin de livres, de cinéma et de musique. Je découvre son album et je suis séduit. Je l'écoute dans le backstore tout seul. Nourri de ses mots. Je serai déçu, des années plus tard quand son disque ne sera plus trouvable nulle part. J'aimais beaucoup. Trouvez-le aujourd'hui. Impossible.
À moins que l'appât du gain ne fasse danser les piasses sur les cendres de Tabra prochainement...

C'est Tabra qui signera la comédie musicale Dracula, entre l'Amour et la Mort mettant en vedette Bruno Pelletier.

En 2010, il publie La Folitude, son unique travail strictement littéraire.

Tabra était un grand maître des mots. Il est mort d'un croisement de diabète et de cirrhose du foie.

Il est mort d'avoir vécu.

Ce sont de très belles empreintes qu'il aura laissé derrière.

Vous remarquerez que depuis trois jours je vous parle de mes passions les plus précieuses.
Cinéma & Musique
Littérature & Cinéma
Musique & Mots.

Ça s'est fait tout seul. Sans calcul. naturellement.

Salut Roger,
En toi, il existait beaucoup de beauté.

Soigne-la encore là-haut.

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Parce que des enfants pas tellement doués pour l'expression francophone et frôlant la débilité pure se sont infiltrés sur ce site je me vois forcé de modérer les commentaires :)