lundi 14 janvier 2019

Immortel(le)s

"Je ne t'ai jamais dit, mais nous sommes immortels..."
-D.A.  

La semaine dernière, je ne suis plus supposé, mais je n'étais pas à l'entrepôt, j'étais sur la route. Au centre-ville. À travailler comme un maudit fou en livrant entre 550 et 790 bacs de recyclages par jour, dans le froid extrême, le vent, la neige, la bouette, montant/descendant d'un camion trop gros, conduit dans des rues beaucoup trop étroites de Montréal centre-ville, entre les rues St-Denis, René-Lévesque, Sherbrooke et jusque sous le pont Jacques Cartier.

Imaginez un camion de 18 pieds dans ces conditions. Un gars de 46 ans qui en monte, en descend, 200 fois par jour, 4 fois dans la semaine. Je revenais à la maison mort. Mal à des muscles que je ne me connaissais même pas. Dès mardi matin, je n'avais plus de voix. Dès mercredi, plus de moral. Dès jeudi, je savais que ça me prendrait 2 jours pour me remettre de ma semaine de cave.

Heureusement, les vendredis sont à moi. Je ne travaille théoriquement pas ailleurs que de chez nous. Mais l'amoureuse en profite pour me refiler une demie-tonne de commissions à faire ce jour-là. Une demie-tonne étant en moyenne 6 stops. La grosse épicerie, la petite, le Pneu Canadien, le Mondou pour le chat, le fucking Tim pour les bagels au sésame, endroit que je méprise pour un top ten de raisons et l'autre aurait été un déplacement que j'aurais fait moi-même, souvent la bibliothèque. Il n'y que 2 endroits qui me font cet effet souverainement désagréable: Le Pneu Canadien et Tim Horton.

Je ne critique pas les deux épiceries, je les ferais le ve ndredi aussi. Mais quand le week-end arrive, je ne veux tellement plus sortir de chez moi. Et aller au Pneu Canadien, ça m'irrite d'emblée.

Nous avons un foyer à l'éthanol. L'amoureuse aime le réconfort du feu à l'éthanol dans notre salon. Spécialement après une semaine intense comme la semaine dernière. Elle m'a donc envoyé chercher trois cannes d'éthanol au Pneu Canadien.

Je DÉTESTE me rendre à cet endroit pour une multitude de raisons. Premièrement ils ont retiré le comptoir d'informations. Comme je suis perpétuellement perdu dans ce magasin, j'y allais sans même me poser de questions. Je m'y rendais systématiquement. Trouvez moi ce qu'on m'envoie y chercher, je ne suis pas votre client.

C'est une autre raison pour laquelle je n'aime pas me rendre à ce magasin (ou chez Tim) il ne s'adresse en rien à moi. Il me met en pleine face tout ce que je ne suis pas, ce que je ne voudrai pas tellement souvent être et ne serai probablement jamais. J'y passe par obligation vraiment forcée. Et ce vendredi-là, le dernier, l'amoureuse me faisait passer par les deux (Tim et le Pneu Canadien) le même jour. Un autre jour de froid intense. (Ça j'haïs pas).

Pour me placer en territoire de confort, dans un lieu d'inconfort, je me suis branché dans les oreilles le téléphone. Puisque je venais de vous parler de Bauhaus, j'avais Love & Rockets à l'oreille. Leur premier album que je m'étais téléchargé car, en 1985, je n'en connaissais, NOUS en connaissions tous, qu'une seule chanson. (Si nous avions pas acheté l'album ou la cassette). Je savais où me rendre, rangée 21, trois cannes d'éthanol, j'attends aux caisses.

C'est le trajet que je fais le plus souvent, presque l'unique, dans ce magasin.

Quand un jeune harceleur, aperçu un peu plus tôt, avec une autre victime dans sa toile, est venu me voir pour me mimer le geste de retirer mes écouteurs. J'ai été vache. Je l'ai fixé en attendant presque 20 secondes pour le faire. Mais comme il avait bravement attendu, je l'ai retiré tout de même. Voici la suite de la conversation verbatim:

"Je peux vous déranger quelques secondes?"`
Il avait sa carte à me proposer dans les mains.

"Moyen"

"...vous pourriez...avoir 12% de moins sur vos achats du jour..."

Je n'ai pas écouté ce qu'il m'a proposé c'était non avant même qu'il m'en parle de son accent légèrement anglo.

"Je ne suis jamais ici, je ne suis pas un régulier du magasin, ne perds pas ton temps, je ne suis pas un bon client pour ici, je n'y viens jamais" ai-je dis.

"Mais si vous shsgrutghy...vous pourriez trifhgstiw...et chaque nouvel achat vous donnera des points sur vos ikjyhtsry..."

"Merci mais je ne suis pas le bon gars pour ça, je m'écoeure à venir ici, je n'existe pas ici, je ne suis pas là en ce moment, tu ne m'aides pas à ne pas être écoeuré de l'endroit..."

Cette dernière ligne m'a parue brutale. Mais il fallait la dire. Va harceler ailleurs, mouche. Je ne suis pas ta marde.

Il a compris. Il a quitté. Mais je n'aime pas devoir couper ce fil d'araignée. Bien qu'il faille le faire. PERSONNE sur cette terre ne sollicite sans avoir un objectif bien à lui qui n'a rien à voir avec vous. C'est pas être farouche, c'est être lucide. Même si c'était Ball of Confusion qui me jouait dans l'oreille.

Je suis vampire, je sais de quoi je cause. Je manipule moi aussi pour un bon cou sanguignolant.

La caissière a tout entendu. Elle a semblé apprécier. Elle me l'a dit de l'oeil. Je lui ai souri en retour, elle me regardait trop. J'ai vu une de ses dents sortir de sa lèvre supérieure. Nous étions de la même race. On s'est compris.

On a pas fini avec eux. On aura jamais fini avec vous.

Lecteurs, je ne te l'ai jamais dit, mais nous sommes, immortels.

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